LINGUISTIQUE ET DIDACTIQUE

LINGUISTIQUE ET DIDACTIQUE

Le système de négation chez les locuteurs hakmi et souqi de Djibouti-ville : description et comparaison

Le système de négation chez les locuteurs Hakmi et souqi de Djibouti ville :

description et comparaison

 

In Revue universitaire de Djibouti, N°8, avril 2015, p.54-64

 

Résumé : Cet article présente une analyse à la fois descriptive et comparative du système de négation du parler hakmi de la République de Djibouti. Il s’agit d’une variété dialectale arabe qui évolue parallèlement à une autre variété arabe le souqi. Ce travail cherche à souligner que les multiples influences linguistiques, que le hakmi subit, donnent naissance à des procédés de négation hybrides, révélateurs d’une évolution du système linguistique.

 

Mots clefs : hakmi, souki, négation, arabe, Djibouti, Yémen, hybrides, nivellement, tihama.

 

Abréviation

 

1

première personne

2

deuxième personne

3

troisième personne

acc

accompli

déf

article défini

dem

démonstratif

exs

particule d’existence

f

féminin

fut

futur

imp

impératif

inac

inaccompli

indéf

indéfini

indep

indépendant

m

masculin

neg

négation

pl

pluriel

poss

Particule de possession

prtc

particule

rel

relatif

sg

singulier

suf

suffixe

V

verbe

 

 


Introduction

Le hakmi [ħakmi] désigne à la fois le nom d'une variété vernaculaire arabe parlé à Djibouti-ville et, par extension, celui de son locuteur. Les Hakmi sont des citoyens djiboutiens minoritaires, essentiellement originaires de Dhoubāb [ubāb], de Wahigué [waħíge(h)] et de al-Kádha [alkádħa], des bourgs situés près de Moka [máxxa] au sud de la Tihama, la plaine côtière à l'ouest du Yémen. A Djibout-ville, ils sont principalement installés à Ambouli [ħombúli] et à Djebel [gabal], deux quartiers situés à environ quatre kilomètres  du centre de la capitale.

Le parler hakmi est en contact avec l’arabe souqi [sūqi], prononcé aussi [sūɣi] (« propre au souk ») ou encore arabe [mōda] « à la mode » ; une koinè formée à partir de plusieurs parlers originaires de différentes régions du Yémen : Aden, Ta’izz, Lahij ou Hadramaout, pour ne citer que les principales. Il s’agit de villes et de la région d’où sont issus les Arabes de Djibouti. Par rapport au souki/moda, le hakmi est très marqué tant sur le plan de la phonologie, de la morphologie que de la syntaxe et du lexique. Parallèlement, suite à  la forte influence qu’il subit de la part des langues avec lesquelles il est en contact, le hakmi accuse un certain nombre de phénomènes qui annoncent son évolution. Je me propose à travers cet article d’illustrer ces deux points à travers l’étude d’un trait syntaxique : le système de négation.  Ce système présente effectivement des traits qui le distinguent de celui du souki/moda (emploi des particules négatives, syntaxe de la négation…) et qui le rapprochent des dialectes tihami, y compris du hakmi du yémen. On retrouve, dans l’emploi de la négation absolue, comme il le sera souligné plus bas,  une trace du substrat sudarabique ancien/épigraphique (sabéen). Après avoir souligné les divergences et les convergences des systèmes de négation souqi et hakmi, on soulignera les conséquences de l’influence du souqi sur le hakmi par l’étude de structures syntaxiquement hybrides qui annoncent le début d’un nivellement linguistique entre les deux parlers.

Cette étude repose sur une démarche descriptive et comparatiste faite à partir de données recueillies sur le terrain lors des enquêtes que j’ai menées auprès des locuteurs hakmi, aussi bien à Djibouti-ville qu’au Yémen, avec de nombreuses références à l’Atlas de Peter Behnstedt (1985. Die nordjemenitischen Dialekte. Teil 1: Atlas. Wiesbaden, Dr Ludwig Reichert), et aux travaux déjà effectués sur cette question (en particulier Simeone-Senelle. 1996. « Negation in some arabic dialects of the Tihama of the Yemen », Perspectives on Arabic Linguistics IX, M. Eid & D. Parkinson (eds). John Benjamin, Amsterdam/ Philadelphia: 207-221). Les exemples sont extraits à la fois d'un corpus composé d’énoncés spontanés (conversation et récit) et d’un questionnaire pré-établi. Les enregistrements ont été effectués sur un mini-disque Sony, auprès d'hommes et de femmes, toute catégorie sociale confondue, et âgés entre 16 et 70 ans.

 

1. Les adverbes de négation  nda/ lá(ʕ)

Pour répondre négativement à une interrogation totale ou récuser un propos dans sa globalité, les locuteurs hakmi utilisent ndá ou ndáw « non ! », là où les  locuteurs souqi/moda emploient la particule de négation la(ʕ). Les locuteurs hakmi de Djibouti ou ceux du Yémen (al-Kadiha, Dhubâb et Wahigué) utilisent le même adverbe sous quatre variantes différentes : [ndá], [ndáw], [dáw] et [dów]. La dentale sonore peut ou non être emphatisée chez tous les locuteurs de Djibouti ou du Yémen.

A Djibouti, cette base dw est également attestée chez les locuteurs mashâliha (originaires de Mokka) et chez les darâhima  (originaire de Gum’a). Ils emploient respectivement dáw et une forme non usuelle en hakmi dáwwej, avec duplication de la semi-consonne suivie d’une diphtongaison. Les formes dáw et dúwwēj ont aussi été relevées dans d’autres endroits de l’extrémité sud de la Tihâma (Behnstedt, 1985 :  170). Il faut préciser que dáw recouvre toute la région autour de Mokka et de al-Bayda et s’étend jusqu’aux environs de at-Ṭurbah. Quant à dáwwej, il est utilisé dans cette même zone à Barh, Duba‘ad-Daxil et à Qariyat Qumara (Behnstedt, 1985 : 170, carte 117). Cette base « d’ », selon Bron (1994 : 185) « correspond à la négation dáw rapportée par Hamdânî [au Xe siècle] comme caractéristique du dialecte Himyarite », un parler sudarabique ancien connu par des inscriptions. Par ailleurs, dans leurs enquêtes de dialectologie dans la région côtière entre Hodayda et Yakhtul, Simeone-Senelle et al., (1994 : 219) soulignent le lien de la négation absolue [, dáw ou ndá] et des formes attestées en himyarite et en sabéen de la période récente (Beeston, 1984 : 47).

Sur le plan syntaxique, en hakmi de Djibouti et de la Tihâma, ndá, comme ʕ, en souqi/moda, peut constituer à lui tout seul une réponse suffisante (assertion négative minimale) comme dans l’exemple (1b).

1.

a.

háta

xájj-ik

 

 

venir.acc.3msg

frère-suf.2fsg

 

 

Ton frère est venu ?

 

 

b.

n á

 

 

non

 

 

Non.

 

 

c.

n á

gadár-ʃi

jēti

 

 

non

pouvoir.acc.3msg-nég

inac.3msg.venir

 

 

Non, il n’a pas pu venir.

 

La phrase, même si elle commence par cette particule négative, aura toujours un prédicat marqué comme négatif (ex. 2b).

2.

a.

ħáqq-āk

 

 

dem.3msg

poss-suf.2msg

 

 

Ça, c’est à toi ?

 

2.

b.

n á

mə́ʃi

ħáqq-i

 

 

non

neg

poss-suf.1sg

 

 

Non, ce n’est pas à moi.

J’ai relevé, chez des jeunes locuteurs, l’emploie simultané de [da] et de [la(ʕ)] dans un même énoncé sans que l’usage de l’un ou de l’autre soit conditionné par un contexte quelconque. Il s’agit d’un exemple type de polymorphisme, un phénomène qui marque l’évolution linguistique et qui se caractérise par la présence de deux ou plusieurs variantes appartenant à la même catégorie grammaticale et dont le dénominateur commun est l’identité de sens ou de fonction (Reutner, 1991 : 114).

ndá comme la(ʕ)permet de nier l’ensemble de la prédication, ce qui n’est pas le cas du reste des autres particules négatives que nous présenterons plus bas. Certaines d’entre elles sont spécifiquement employées pour nier un prédicat verbal et d’autres un prédicat nominal.

 

2. Négation du prédicat verbal

Lorsque, dans un énoncé assertif, la négation porte sur le prédicat verbal, elle est marquée par le morphème de négation –ʃi, suffixé au verbe. Celui-ci est étymologiquement lié à *ʃaij « chose » qui permet d’exprimer un indéfini dans d’autres dialectes arabes. L’emploi du clitique –ʃi peut suffire à nier le prédicat verbal (ex. 3) même si parfois il est renforcé par ndá précédemment étudié (ex.4).

  1. 3.

bák-ʃi

m-skōl

 

partir.acc.3msg-nég

déf-école

 

Il n’est pas parti à l’école.

 

  1. 4.

ndá

rēt-ʃi

 

non

voir.acc.1sg-nég

 

Non, je n’ai rien vu.

 

Le clitique -ʃi se diphtongue comme suite -ʃi >-ʃej, en particulier chez les personnes âgées. L’exemple ci-dessous est relevé chez une locutrice âgée de 77 ans, native de Waħigué. Il est difficile de savoir si cette diphtongaison est due à l’environnement vocalique, à l’idiolecte de la locutrice ou à un phénomène dialectal. La réponse pourrait être donnée à l’issue d’un prochain terrain dans ce village.

  1. 5.

ánej

ʃqā́-ʃej

 

indep.1fsg

inac.1sg.travailler-nég

 

Moi, je ne travaille pas.

Par ailleurs, un phénomène résultant du contact de langue entre souqi/hakmi attire l’attention, c’est celui relevé chez un adolescent hakmi, dont la mère est locutrice de souqi/moda. Ce jeune locuteur insère en début de phrase le marqueur de négation employé en souqi/moda et jamais en hakmi. A noter que ce phénomène n’est pas spécifique à ce jeune locuteur, on le relève chez d’autres locuteurs bilingues souqi/hakmi :

  1. 6.

a.

*ma

ʕagáb-ʃī-na

 

 

nég

plaire.acc.3msg-nég-1msg 

 

 

Cela ne m’a pas plu.

 

D’un point de vue purement normatif, cet exemple serait agrammatical tant en hakmi qu’en souqi/moda. Dans le premier parler c’est l’adjonction de qui rend la phrase « incorrecte », l’énoncé « correcte » serait :

 

6.

b.

ʕagáb-ʃī-na

hakmi

 

plaire.acc.3msg-neg-1msg

 

 

Cela ne m’a pas plu.

 

Pour le souqi, c’est la place et la forme du marqueur qui sont agrammaticales. En effet, en souqi/moda, c’est le morphème ma…-ʃ qui est attesté et non ma…-ʃi*. D’autre part, au niveau syntaxique, en souqi, quand l’objet est un pronom, -ʃ lui est suffixé comme on, peut le voir dans l’exemple 6c ci-dessous :

 

6.

c.

ma

ʕagáb-na-ʃ

souqi

 

nég

plaire.acc.3msg-suf.1msg-nég

 

 

  Cela ne m’a pas plus.

 

Par conséquent, par rapport à (6b) et (6c), l’énoncé (6a) apparaît comme une forme hybride, révélatrice des effets du contact de langue chez les jeunes locuteurs, en particulier les bilingues souqi/hakmi.

Dans les énoncés prohibitifs, [-ʃ] est suffixé au verbe à l’inaccompli. L’ordre des termes est le même que dans les phrases déclaratives : Verbe à l'inaccompli + morphème de négation [-ʃ] + objet/circonstant, l’intonation permet seule de différencier les deux modes d’énoncés.

7.

tibūki-ʃi

hála

 

inac.partir.3fsg.-neg.

là-bas

 

Tu ne pars pas là-bas.

 

 

 

 

8.

tahdurū-ʃi

maʕ

ada

m-rāgel

 

imp.partir.2pl.-neg.

avec

dem.3msg

def-homme

 

Ne parlez pas à cet homme.

 

 

                                                 

 

Pour renforcer l’interdiction le verbe nié peut être suivi des adverbes [ʕu ] ou [būri ] qui signifient « de force ». Ces emphatiseurs sont placés en fin de phrase :

9.

takúl-ʃi  

ʕu

 

imp.manger.2fsg.

de-force

 

Ne mange pas du tout !

 

 

 

 

L’interlocuteur pour exprimer sa détermination répond à cette injonction négative en reprenant dans sa réponse l’adverbe [ʕu ] ou [būri ] contenu dans l’injonction :

10.

ʃā-kol 

ʕu

qásb

 

fut-inac.manger.1sg.

de- def.

force

 

Eh bien ! je mangerai quand même! (envers et contre tout).

 

 

 

 

L’emploi de ces emphatiseurs dans les énoncés injonctifs ainsi que dans les réponses ne se fait que dans un contexte polémique.

 

3. Négation du prédicat nominal

3.1 Négation de l’existence : fīʃi

Pour nier l’existence dans une phrase nominale, on utilise le négatif -ʃi, enclitique de la préposition , qui comme nous l’avons précédemment vu est une copule d’existence. Il faut remarquer que -ʃi, en hakmi est le seul négateur du prédicat verbal (cf. infra). La locution ʃi est figée avec le sens de « il n’y a pas, il n’existe pas ».

ʃi est attesté à Djibouti, dans le quartier d’Ambouli et à de Gabal mais aussi chez les Hakmi du Yémen. Il l’est aussi dans une dizaine de localités géographiquement proches, dont Mokka et Mawza’ (Behnstedt, 1985 : 172-173), d’où sont originaires les Mashâliha et les Mawâz’ia de Djibouti. C’est donc un trait qui apparaît comme tihâmi. En souqi/moda, c’est la variante complexe māfiʃ qui est employée. Elle est basée sur la même particule d’existence mais encadrée par le morphème de négation discontinue mā-  …-ʃ   māfiʃ.

Sur le plan syntaxique, ʃi prédicatif (tout comme le māfiʃ des Souqi) est toujours placé en début de phrase. L’élément dont l’existence est niée est toujours indéfini, animé (ex.11-12) ou inanimé (ex.13) :

  1. 11.

fíʃi

wāħed

 

exs.neg  

un

 

Il n’y a personne.

 

  1. 12.

fíʃi

kān

rigāl

 

exs.nég

prtc

hommes

 

Il n’y a personne.

 

  1. 13.

fíʃi

ħāga

 

exs.nég

chose

 

Il n’y a rien.

Comme on peut le voir, une particule marquant l’antériorité peut être insérée entre la particule négative et l’élément nié. Elle permet ainsi de situer dans le passé cette négation.

 

3.2 Négation de l’identification : máʃi

Cette particule/copule, ainsi que ses différentes variantes [ʃi, méʃi, mʃí, māʃi māʃi], est le résultat d’une grammaticalisation/lexification de ma, qui en hakmi signifie « que / quoi ») et de -ʃi. En souqi/moda, c’est uniquement la forme ʃ qui est utilisée.

En Tihâma, ʃi est relevée dans les dialectes de Waadii Rumman, Baggaashi, Gishshah, Ḥsii Salem[1]. (Simeone-Senelle, 1996 : 209), plus au nord. ʃi est dans tous ces dialectes un marqueur non-clitique, qui peut être traduit littéralement par « pas de … ». Il est, comme fīʃi, placé en tête de phrase, mais contrairement à lui, il peut nier un des éléments (défini ou indéfini) du prédicat : un nom substantif/adjectif/pronom) ou un groupe prépositionnel (ex.18) quelle que soit sa fonction : sujet (ex.14-15), objet, l’attribut ou le circonstant (ex.16-18) :

14.

n ḍ á/

míʃi

dúxn-u /

xúbz-u /

 

non

nég

dúxn-indéf

xúbz-indéf

 

Non, ce n’est pas du duxn[2] (mais) du khubz[3].

 

15.

míʃi

hu

lli

sábbar-o

 

nég

indep.3msg

rel

faire.acc.3msg-suf.3msg

 

Ce n’est pas lui qui l’a fait.

 

16.

míʃi

ħasána

 

nég

beau

 

Ce n’est pas beau.

 

17.

míʃi

búkra/

báʕd

búkra

 

nég

demain

après

demain

 

Ce n’est pas demain (mais) après demain.

 

18.

míʃi

ʕaʃān-o

sábbart-o

 

nég

pour-suf.3msg

faire.acc.1sg-suf.3msg

 

Ce n’est pas pour lui que je l’ai fait.

 

3.3 Négation de la possession : maʕʃīl-pr.suf

En hakmi de Djibouti et du Yémen, la négation de la possession est une locution complexe. Elle est basée sur la préposition ʕ « avec  (accompagnement) », suivie de -ʃi et de la préposition d’attribution / dative l-. On peut littéralement traduire la locution maʕʃīl par « il n’y a pas avec X ; X il n’a pas ». Les deux derniers éléments sont clitiques. Un pronom personnel est suffixé, référant au possesseur, sujet du prédicat nominal. Même quand le possesseur est explicité, le pronom cataphorique est obligatoire :

19.

maʕʃīl-o

bijēs-u

 

poss.neg-suf.3msg

argent-indéf

 

Il n’a pas d’argent.

 

20.

maʕʃīl-i

áni

bjūt-u

 

poss.neg-suf.1sg

indep.1sg

maison.pl-indéf

 

Je n’ai pas de maison, moi.

Le hakmi, à Djibouti, se distingue bien du souqi/moda où la négation de la possession se construit avec le marqueur de négation má- suivi de la préposition locative ʕínd- « chez », exprimant aussi l’accompagnement. C’est à cette particule composée que se suffixe le pronom référant au possesseur. Le clitique ʃ  peut, en cas d’insistance, être suffixé à ce pronom dont la présence est, comme en hakmi, une nécessité, même si le possesseur est explicité par un nom ou un pronom :

21.

ma-ʕind-o(-ʃ)

bijās

souqi

neg-poss-suf.3msg-(neg)

argent

 

Il n’a (vraiment) pas d’argent.

 

4. Négation et coordination (PN, PV)

Rappelons qu’en hakmi, les propositions négatives non dépendantes peuvent être coordonnées par le jonctif négatif wála. Ce morphème est également attesté dans une suite de propositions nominales / attributives. Le premier prédicat nominal est introduit par ʃi, et wála coordonne les éléments sur lesquels porte la négation :

22.

máʃí

hu/

wála

héj

 

neg

indep.3msg

et.neg

indep.3fsg

 

Ce n’est pas lui, ni même elle.

 

23.

máʃi

ʕágūzu

wála

gā́hilu

 

neg

vieux

et.neg

jeune

 

Il n’est pas vieux ni même jeune.

Dans une suite de phrases existentielles, les prédicats nominaux négatifs sont reliés entre eux par la conjonction négative wála, en tête de chaque proposition, y compris la première (comme dans les phrases verbales).     

24.

fíʃi

wála 

ʕurós

wála 

ʕarājes

 

exs.neg   

neg

mariage

neg

mariés

 

Il n’y a ni mariage ni mariés.

 

                       

 

 

En hakmi comme en souqi/moda, la première proposition ou élément nié peut être introduite par la uniquement :

25.

fíʃi

la

lában-u

wála 

ʃāhi

 

exs.neg

neg

lait-indef

neg

thé

 

Il n’y a ni lait ni thé.

 

 

 

 

En conclusion, l’étude du système de négation du hakmi de Djibouti montre qu’il partage avec les autres parlers de la Tihâma l’emploi du clitique ʃ (i) dans la négation. Contrairement aux autres parlers, le marqueur de négation en hakmi, aussi bien dans les énoncés verbaux que nominaux, n'est jamais discontinu. Etant le seul marqueur de négation du prédicat (qu’il soit un verbe ou une particule d’existence), la valeur négative de ʃi  est très forte. On retrouve cette même particularité dans la négation de l'arabe parlé au nord de la république de Djibouti (Simeone-Senelle, 1999 : 201). Par ailleurs, le hakmi de Djibouti-ville se distingue du souqi/moda par deux traits essentiels : il n’a pas de morphème discontinu ma … -ʃ ni de particule de négation absolue la(ʕ). En même temps l’influence du souqi sur le hakmi est particulièrement visible dans le parler des jeunes où l’on relève une forme discontinue hybride avec une syntaxe particulière : ma v-ʃi-pr.suf. (ex.6a) et où l’usage des marqueurs de négation avec la base (ndá], [ndáw], [dáw] et [dów]), jugé très marqué et déprécié, fait de plus en plus place au la(ʕ) plus classique. A l’état actuel de mes recherches, bien que les éléments observés et présentés dans cet article laissent à penser qu’un début de processus de nivellement linguistique entre les deux variétés de l’arabe dialectal de Djibouti est en train de se mettre en place, il est encore trop tôt de l’affirmer sur la base d’un seul aspect linguistique, à savoir le marquage de la négation. Seule une étude plus poussée, concernant divers aspects du système (phonétique, syntaxique, morphologique et lexicale) peut ou non confirmer cette hypothèse.

 

 

Bibliographie :

 

Behnstedt, P. (1985). Die nordjemenitischen Dialekte.Teil 1: Atlas. Wiesbaden. Dr Ludwig Reichert.

Bron, F. (1994). « Note sur la négation en sudarabique épigraphique ». Matériaux Arabes et Sudarabiques. Groupe d'Etudes des Langues et Littératures Arabes et Sudarabiques (MAS-GELLAS) (n.s. 6) : 183-185.

Creissels, D. « La négation ». Cours de syntaxe générale. http://lesla.univ-lyon2.fr/IMG/pdf/doc-364.pdf.

Rouaud, A. (1997). « Pour une histoire des Arabes de Djibouti 1896-1977 ». Cahiers d’Etudes Africaines : 99-101.

Selwi, I. (1987). « Jeminitische Wörter in den Werken von al-Hamdānī und Našwān und ihre Parallelen in den semitischen Sprachen ». Marburger Studien zur Afrika- und Asienkunde. H.-J. Greschat, H. Jungraithmayr and W. Rau. Berlin, Reimer Dietrich, 10 : 89-90.

Simeone-Senelle, M.-C. (1996). « The Negation in some Arabic Dialects of the Tihama of the Yemen. Perspectives on Arabic Linguistics IX. », M. EID and D. Parkinson. Amsterdam/Philadelphia, Benjamins. 141: 207-221.

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― (2003). « De quelques fonctions de d- dans les langues sudarabiques modernes ». Perspectives synchroniques sur la grammaticalisation. Polysémie, transcatégorialité et échelles syntaxiques. S. Robert. Louvain-Paris, Peeters [Afrique et Langage 5]: 239-252.

― and M. Vanhove (1999). « Paysage linguistique en Tihama », Saba 5 - 6: 32-33.

M. Vanhove, et al.(1994). « Les dialectes arabes de la Tihama du Yémen: diversité et caractéristiques », Actes des Premières Journées Internationales de Dialectologie Arabe. Paris, 27-30 janvier 1993. D. Caubet and M. Vanhove. Paris, INALCO: 217-231.

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[1] Transcription relevé dans l’article en question.

[2] Pain à base de sorgho.

[3] Pain à base de farine de blé.



05/05/2015
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