Je voudrais au moins dix filles
1-Je voudrais au moins dix filles aʃa ʕaʃara banāti bi-l qulejlāti
Lors d’un deuil, chez les Arabes de Djibouti, comme d’ailleurs chez les autres communautés djibouto-musulmanes, la toilette mortuaire, en fonction du sexe de la personne décédée, est effectuée par un "laveur" « muqássil » [muqássil] ou une "laveuse" « muqassíla » [muqássila/muqássile(h)], lesquels peuvent être assistés par les membres de la famille du même sexe que le défunt ou la défunte. Plus les assistants sont proches et concernés, mieux ils veilleront au bon déroulement de la toilette mortuaire. Le mort est ensuite habillé par le "couvreur" « moukaffin » [mukáffin] ou la "couvreuse" « mukaffina » [mukáffina/mukáffine(h)], d’un linceul en coton blanc le « kafan » [kafán], et ce, quelle que soit la classe sociale du mort. Durant trois ou neuf jours, les proches, sur des tapis mis à même le sol, « firâche » [firāʃ], reçoivent parents, amis, voisins et autres membres de la société qui viennent présenter leurs condoléances, il s’agit généralement de femme.
Pour comprendre le sens de la berceuse qui suit, il faut savoir que les rites et la cérémonie funéraires, dans la communauté arabo-djiboutienne, sont d’abord une affaire de femmes. Si les hommes assurent le financement de la cérémonie, se chargent du transport du mort et de son inhumation, ce sont les femmes qui organisent et supervisent les différentes étapes de la cérémonie mortuaire. Elles choisissent le "laveur" ou la "laveuse" des morts, étendent le "firâche" sur lequel elles s’assoient pour recevoir les condoléances des proches, pleurent les morts, portent le deuil (port du vêtement blanc pour la veuve et noire pour les autres, absence de bijoux en or et de maquillage), servent celles qui viennent présenter leurs condoléances, décident du nombre de jours de réception (trois ou neuf jours), organisent le repas funéraire et closent la cérémonie. Les efforts de ces femmes vont varier en fonction du lien qui les unit avec la personne décédée, ainsi, très souvent, les femmes ne fournissent pas les mêmes efforts quant il s’agit de leur mère que quand il s’agit de leur belle-mère. Elles seront plus négligentes si la morte est leur belle-mère, c’est du moins ce que suggère la berceuse.
- وا رب وا ربّاتى و اللى في خيرك وافى
- كترلى بالبناتى عشرة بالقليلاتى
- تنتين عند رجولى و تنتنين عند راسى
- تنتين عند المُغسّلة يقولوا غسّلى امٌنا صافى
- تنتين عند المكفّنة يقولوا مانقصو وماوفى
- تنتين فوق الفراش يبكوا يقولوا وامّى و امّ خواتى
- تنتين بالمطبخ يسكّبوا القهواتى لمرايحى و امواتى
- تنتين عند باب المردم صابره لبعلها يعازلاتى
- تقول له لا أشاك و لا أنت منّى
- أشاك تحلق جعدتك و تولّى على امّى
- قال لى اتحشمى و وليده الرجال يبكوشى
- لمّك ماتن خدى بدالها امّى
- قاللوه كدبت يابن الرجال إن أمّك بديلة لامّى
- امّى جنه خضره كل ما اقبلن ضللنّى
- امّى كوزه بارد كل ما اقبلن عمنّى
- اما امّك كلبه ضاغر لوجزعت هرنّى
- امّك سحابة سوده لو اقبلن غمنّى
- وا رب وا ربّاتى و اللى بلا بناتى تموت من الحسراتى
- بيتها مفكوكو لم ريح وام سوافى
- جحلتها مكشوفه عليها حنش لاوى
- فراشها ممدودو و لا عليه باكى
- تبكيها مرت ابنها بكاها فيها ونّه
- ساعة تقول وامّا ساعة وعما
- ساعة تقول ورب دعيتك شاليت منى الغمّه
- Ô Dieu ! Ô mon Dieu ! Toi dont les bienfaits sont nombreux.
- Donne-moi plusieurs filles, dix au minimum.
- A ma mort, deux seront auprès de mes pieds et deux auprès de ma tête
- Deux seront auprès de la laveuse, elles lui diront « lave notre mère avec beaucoup de soin ».
- Deux seront auprès de la couvreuse, elles lui demanderont « qu’est-ce qui manque ? qu’est-ce qui est suffisant ? ».
- Deux me pleureront sur le matelas, en disant : « Ô mère ! Ô mère de mes sœurs ! ».
- Deux seront dans la cuisine, elles serviront le café à celles qui vont et viennent présenter leurs condoléances.
- Deux, au seuil de la porte d’entrée, attendront leurs époux afin de leur intimer l’ordre de pleurer ma mort.
- L’une d’entre elles dira à son époux « je ne veux plus de toi et je ne suis plus à toi,
- A moins que tu ne te rases la tête et que tu ne pleures ma mère ».
- Et quand il lui répond : « Aies honte, Ô femme ! les hommes ne pleurent pas.
- Si ta mère est morte remplace-la par la mienne. »
- Elle lui répliquera alors sans détours : « tu te trompes fils des hommes si tu penses que ta mère peut remplacer la mienne
- Ma mère, tel un paradis vert, m’égaie chaque fois qu’elle vient vers moi.
- Ma mère, tel un jarre d’eau fraiche, étanche ma soif chaque fois qu’elle apparaît.
- Alors que ta mère, telle une chienne méchante, aboie après moi, chaque fois que je passe.
- Ta mère, tel un nuage malveillant, m’étouffe chaque fois qu’elle surgit ! »
- Ô Dieu ! Ô mon Dieu ! Celle qui n’a pas de fille meurt dans la détresse.
- Sa maison est ouverte au vent et au sable.
- Son jarre est découvert et un serpent enroulé y git.
- Son matelas est étendu est nul ne la pleure.
- Sauf sa belle-fille dont les larmes sont feintes.
- Un moment elle dit « Ô mère ! », un autre « Ô obscurité ! ».
- Puis, « Ô Dieu ! je t’ai tant prié pour que tu me débarrasses de celle qui m’étouffe. ».