LINGUISTIQUE ET DIDACTIQUE

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Chapitre 4 : Grammaire traditionnelle

 

La grammaire vous a déjà été enseignée durant votre scolarité. Elle permet aux élèves d’améliorer leur connaissance de la langue, ce qui les aide dans leur pratique orale et écrite du français.  Pour vous, l’objectif est certainement différent. Il est cependant primordial que vous maîtrisiez les contenus de la grammaire traditionnelle. En effet, malgré ses imperfections, elle est la source d’une terminologie et d’une analyse sur la langue qui dépassent largement le cadre de la linguistique.  Contrairement à une idée qui circule parfois, la grammaire traditionnelle n’est pas figée. Elle a évolué en tirant profit des réflexions des linguistes. Cependant, cette grammaire n’est pas irréprochable. Ses choix sont parfois discutables.  Il importe donc de pouvoir la considérer avec recul. C’est pour quoi dans la première partie de ce chapitre nous verrons comment il est possible de manipuler les phrases pour en comprendre le fonctionnement. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : faire de la grammaire, c’est observer le comportement des mots.

Ensuite, nous reviendrons sur quelques notions de la grammaire traditionnelle, qui ne vous dispenseront pas d’une révision personnelle approfondie à l’aide d’une grammaire comme la Grammaire Larousse du Français Contemporain. Dans la suite du cours, nous reviendrons fréquemment sur des points de grammaire nécessaire à une bonne maîtrise de cette discipline.

 

1 Manipuler la langue

Il peut sembler curieux d’avoir à manipuler la langue pour faire de la grammaire. Il est vrai que cet aspect n’est pas mis explicitement en avant durant la scolarité. Pourtant, les exercices scolaires proposaient systématiquement des manipulations. De plus, on se souvient que bon nombre de fonctions grammaticales étaient repérables grâce à des tests : question “quoi” pour le complément d’objet, remplacement par un verbe du 3ème groupe pour décider de l’orthographe finale d’un verbe du premier groupe etc. Nous nous proposons à présent de lister et d’expliquer les principales manipulations employées en linguistique.

Parfois ces tests génèrent des phrases agrammaticales. Cela n’a rien de gênant. Au contraire, cela sert à mieux observer les contraintes linguistiques que l’on veut dégager.

 

1.1 L’effacement

Observons la phrase suivante :

Le soir, Paul boit sa tisane.

Lorsqu’on découpe cette séquence en groupes syntaxiques on obtient quatre éléments :

Le soir | Paul | boit | sa tisane.

Effacer un groupe consiste à le supprimer de la phrase puis à observer le résultat obtenu. L’application de cette manipulation à la phrase exemple donne ainsi le résultat suivant

a) Paul boit sa tisane.

b) * Le soir, boit sa tisane.

c) * Le soir, Paul sa tisane.

d) Le soir, Paul boit.

On constate ainsi que tous les groupes n’ont pas la même influence sur la grammaticalité de la phrase. Deux groupes paraissent plus importants que les autres puis que leur absence entraîne l’agrammaticalité de la phrase. Le test de l’effacement permet donc d’obtenir des indications sur l’importance d’un élément ou d’un groupe d’éléments dans une structure linguistique. Toutefois, il ne faut pas se contenter de la seule obligation de l’unité linguistique considérée. Il est nécessaire également d’évaluer l’impact sur le sens provoqué par une suppression. Il est clair que, dans cet exemple, la suppression de “sa tisane” provoque un changement de sens du verbe, qui attribue au malheureux Paul une propriété dont il se serait très certainement passé.

 

1.2 Le déplacement

Reprenons le même exemple :

Le soir | Paul | boit | sa tisane.

Le déplacement consiste à placer un groupe dans les différentes positions de la phrase. On obtient par cette manipulation les séquences suivantes :

Déplacement de “Le soir” :

Le soir, Paul boit sa tisane.

Paul, le soir, boit sa tisane.

Paul boit, le soir, sa tisane.

Paul boit sa tisane, le soir.

Déplacement de “Paul” :

Le soir Paul boit sa tisane.

Paul, le soir, boit sa tisane.

* Le soir boit Paul sa tisane.

* Le soir boit sa tisane Paul.

Déplacement de “boit” :

Le soir Paul boit sa tisane.

* Boit le soir Paul sa tisane.

* Le soir boit Paul sa tisane.

* Le soir Paul sa tisane boit.

Déplacement de “sa tisane” :

Le soir Paul boit sa tisane

* sa tisane Le soir Paul boit

* Le soir sa tisane Paul boit

* Le soir Paul sa tisane boit

Ce test permet de mesurer les relations entre les éléments (ou dans un groupe d’éléments) : liberté, dépendance, hiérarchie. Dans cet exemple, l’examen des déplacements indique que le complément circonstanciel “le soir” jouit d’une plus grande liberté que les trois autres groupes. D’autre part, on peut identifier un ordre obligatoire entre certains éléments : le sujet “Paul” doit se trouver avant le verbe “boit”, le complément d’objet “sa tisane” doit se trouver derrière le verbe “boit”.

Le test de déplacement ne se confond pas avec le test précédent. Certes, un groupe qui peut être effacé est souvent plus mobile qu’un groupe obligatoire. On le note ici avec le complément circonstanciel “le soir” à la fois déplaçable et effaçable. Mais ce n’est pas toujours le cas. Dans une proposition relative l’ordre sujet/verbe est moins contraint que dans une phrase simple, mais le sujet et le verbe demeurent obligatoires :

La maison où Paul habite est belle.

La maison où habite Paul est belle.

* La maison où habite est belle.

* La maison où Paul est belle.

 

1.3 L’insertion

L’insertion consiste à lister les éléments pouvant s’intercaler entre deux mots (ou deux groupes de mots). On obtient ainsi une indication sur la cohésion d’une séquence syntaxique ou bien sur la constitution qu’elle a. C’est ainsi qu’on peut différencier les propriétés syntaxiques d’un sujet nominal et d’un sujet pronominal :

Paul, le soir, joue aux cartes.

* Il, le soir, joue aux cartes.

 

1.4 La pronominalisation

La pronominalisation est une opération qui permet à un groupe de mots d’être remplacé par un pronom. Cela permet de délimiter un groupe. En effet, une des propriétés des pronoms personnels est de remplacer un groupe entier même lorsque celui-ci est constitué d’un seul mot (un nom propre par exemple).

Le garçon joue // iljoue.

Le gentil garçon joue // iljoue // * il gentil joue.

Le garçon qui est là joue // iljoue // * il qui est là joue.

Appliqué à l’exemple de départ. On obtient :

Le soir | Paul | boit | sa tisane.

Le soir, il la boit.

On remarque que le verbe ne se pronominalise pas. On note encore que le complément circonstanciel “le soir” ne se pronominalise pas. La pronominalisation permet souvent de repérer les groupes importants dans l’organisation de la phrase (sujet, COD…).

 

1.5 Autres tests

Outre les tests que nous venons de voir, d’autres manipulations sont utilisables. En voici quelques unes :

On peut par exemple mettre au pluriel (ou au singulier) une séquence, puis en mesurer les effets. On établit ainsi les relations d’accord, comme celui qui lie le sujet et le verbe.

On peut mettre une séquence au féminin pour évaluer l’impact du genre sur une structure. On constate alors que la pronominalisation d’un adjectif neutralise l’opposition de genre :

Grand, je le suis.

Grande, je le suis.

* Grande, je la suis.

Enfin une manipulation importante, la “substitution”, sera abordée à l’aide d’un exercice du fascicule lié au cours.

 

2 Les grands axes de la grammaire traditionnelle

La grammaire traditionnelle articule son analyse autour de deux grands axes : les parties du discours et les fonctions.

 

2.1 Les parties du discours ou catégories grammaticales

Les mots de la langue sont divisés en parties du discours. Chaque terme a donc une étiquette intrinsèque avant même d’être traité par les règles syntaxiques. Cette étiquette est vérifiée sans que le mot soit placé dans une phrase. Le terme “maison” est un nom sans qu’il y ait besoin de l’observer en contexte. Les dictionnaires peuvent de ce fait préciser la partie du discours à laquelle appartient tel ou tel mot. On trouve dans la littérature linguistique d’autres façons de nommer cette notion. On parle souvent de catégorie grammaticale d’un mot (la catégorie grammaticale de “maison” est le nom”), plus rarement de nature du mot (la nature de “maison” est le nom).

Les parties du discours sont au nombre de neuf : le nom (ou substantif), l’adjectif, le pronom, le verbe, l’article, l’adverbe, la préposition, la conjonction et l’interjection. Ces catégories sont elles-mêmes divisées en ensembles plus petits soit par des critères sémantiques (nom commun/non propre, verbe d’état/verbe d’action…), soit par des critères syntaxiques (conjonction de subordination/coordination).

La fonction d’un mot (ou d’un groupe de mots), c’est son rôle syntaxique dans une phrase. La fonction représente une part de l’organisation de la phrase. Plusieurs constantes grammaticales servent à identifier une fonction :

- La catégorie grammaticale (fonction unicatégorielle ou non)

- La position des éléments dans la phrase (ordre, distance)

- L’accord (genre/nombre) entre deux éléments

- La dépendance entre deux éléments

- Les propriétés sémantiques d’un terme (fonction appelée par le sens)

 

2.2 Commentaires sur les catégories grammaticales

Durant votre révision, vous retrouverez des termes connus mais plus ou moins oubliés. Il paraît utile ici de commenter certains d’entre eux. Nous repoussons aux chapitres postérieurs les remarques concernant le nom et le verbe. Outre que ces deux parties du discours ont un rôle central en grammaire, il s’avère qu’elles ne posent pas de difficultés pour être reconnues. En revanche, d’autres catégories grammaticales soulèvent des questions, parce que bien souvent, sous une homogénéité terminologique, se cache une diversité importante.

Les pronoms :

Une remarque préalable s’impose : un pronom ne remplace pas un nom mais un groupe de mots, même si celui-ci n’est composé que d’un seul mot. Paul ne voit rien (rien ≠ une personne)

Les adjectifs :

Cette nature grammaticale regroupe des termes très différents à l’observation. Leur seul point commun est d’être liés au nom.

L’adjectif qualificatif est le représentant le plus cité. D’ailleurs lorsque l’épithète “qualificatif ” n’est pas mentionné c’est toujours de lui que l’on parle (par exemple dans les dictionnaires).

L’adjectif possessif a un rôle comparable à celui d’un article. De plus, il est en relation pronominale avec un groupe du nom :

Paul a mis son chapeau (son = le + Paul)

L’adjectif possessif présente ainsi de nombreuses similitudes avec les pronoms personnels. C’est cette similitude qui fait la réelle pertinence des adjectifs possessifs. La notion de “possession” est en fait de très peu d’importance. D’une part, dans bon nombre d’emploi, il est réellement délicat de parler de “possession” (Jean Dubois, 1965).

Paul a raté son train.

d’autre part, on constate que dans certaines occasions l’article suffit à fournir l’interprétation possessive :

Paul a levé la main pour répondre à la question.

? Paul a levé sa main pour répondre à la question.

L’adjectif démonstratif a également le rôle d’un article. En outre, il établit une relation de coréférence avec un élément du texte (ou du discours) ou avec un élément présent dans la situation de communication.

Enfin, les adjectifs indéfinis ont la particularité forte de ne pas forcément accompagner un nom. On les classe alors dans la catégorie des pronoms. Il n’en demeure pas moins vrai qu’il s’agit du même terme :

Certains enfants jouent (adjectif indéfini)

Certains font leurs devoirs (pronom indéfini)

Les adverbes :

Cette catégorie grammaticale est encore plus hétérogène que celle des adjectifs. La propriété qui semble les unir est l’invariabilité. Si la plupart des adverbes accompagnent le verbe (adverbes de manière, de négation…), beaucoup dépendent plutôt de la phrase (adverbes de lieu, de temps), voire de l’adjectif (adverbe de quantité). Certains adverbes ont même des propriétés pronominales (adverbes interrogatifs, pronoms adverbiaux).

Les changements de catégorie :

On est parfois gêné par des critères de classement qui entraînent le fait que certains termes changent de catégorie selon le contexte dans lequel on les observe. Nous venons plus haut de le constater pour les pronoms et les adjectifs indéfinis. Voici d’autres exemples :

- Le mot “avant” est une préposition dans la phrase a et conjonction de subordination (en locution avec “que”) dans la phrase b :

a- Paul viendra avant la tombée de la nuit.

b- Paul viendra avant que la nuit tombe.

- Le mot “derrière” est une préposition phrase c et adverbe phrase d :

c- Paul aime jouer derrière la maison de Luc.

d- Luc a une maison. Paul aime jouer derrière.

Il semble bien que ces changements de catégories bornent en réalité les limites pertinentes de plusieurs critères de classification.

 

2.3 Les fonctions grammaticales

La fonction grammaticale est le deuxième axe de la grammaire traditionnelle. Un mot, pourvu d’une appartenance à une catégorie grammaticale, participe à un système qui règle la hiérarchie et l’ordre des mots. Il est important que vous que vous révisiez notamment les notions suivantes. Cependant, en fonction des grammaires que vous utiliserez, il se peut que la terminologie diffère sur certains points :

- Sujet (réel et apparent)

- Complément d’objet direct, indirect et second

- Épithète, attribut de sujet et de complément d’objet, apposition

- Complément du nom, de l’adjectif (de détermination)

- Complément circonstanciel

- Complément d’agent

 

Durant votre révision, vous constaterez que les définitions données ont souvent recours au sens. Malheureusement, la relation entre le sens et la fonction n’est pas toujours évidente. Prenons par exemple la fonction de “complément circonstanciel”. Il est juste de dire que ces compléments enrichissent la phrase de précisions classables selon leurs valeurs sémantiques. D’un point de vue pédagogique, c’est certainement profitable aux élèves en situation d’apprentissage de l’écrit. En revanche, syntaxiquement ces compléments ont des propriétés très inégales. C’est ainsi que le complément circonstanciel de lieu peut être absolument obligatoire avec certains verbes :

Paul va à Paris // * Paul va

Paul achète une montre à Paris // Paul achète une montre.

De plus, les compléments de lieu sont majoritairement pronominalisables contrairement aux autres compléments circonstanciels :

J’habite à Nicei. Paul yi habite aussi.

D’autres compléments, qu’on appelle souvent circonstanciels de mesure (voire de poids ou de prix), ont un comportement proche des compléments d’objet:

Cette voiture vaut trois francs.

Cette voiture les vaut.

* Cette voiture vaut.

Et que dire du complément circonstanciel de manière, qui, outre un contenu sémantique particulièrement flou, peut revêtir de multiples formes syntaxiques !

 

Conclusion

Nous n’insisterons jamais assez sur la nécessité dans le cadre d’études littéraires de maîtriser, au moins dans une large mesure, la terminologie et les descriptions de la grammaire traditionnelle. En effet, malgré certaines imperfections, elle reste le langage le plus utilisé pour parler de la langue ; en linguistique certes, mais aussi en littérature, en traduction ou encore en pédagogie.

Toutefois, cette grammaire traditionnelle n’est pas forcément la plus adéquate méthode de description. Nous avons déjà relevé plusieurs points discutables (rapport sens/règle, classification des parties du discours parfois gênante), nous en rencontrerons d’autres.

Cette critique de la grammaire traditionnelle par les linguistes a été particulièrement féconde. Elle a permis d’accorder une attention plus grande à des faits comme l’énonciation, la structure en groupes de mots de la phrase, la position des éléments, l’organisation du lexique…



10/04/2016
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