Chapitre E : Le constructivisme
1. Le constructivisme
Tout comme le cognitivisme, le constructivisme est une théorie de l'apprentissage fondée sur l'idée que la connaissance est construite par l'apprenant sur la base d'une activité mentale. Apparue relativement à la même période que le cognitivisme, cette théorie vient elle aussi offrir une alternative au behaviorisme qui, selon Piaget, limitait trop l’apprentissage à l’association stimulus-réponse et ignorait l'activité mentale du sujet dans le processus d'apprentissage. L’approche constructiviste s'intéresse à l'activité du sujet pour se construire une représentation de la réalité qui l’entoure.
1.1 Principe de base du constructivisme : la connaissance est construite par l’apprenant sur la base d’une activité mentale
Il est difficile d’expliquer le constructivisme sans évoquer les travaux de Piaget (1970 et 1980) qui ont eu une grande influence sur cette théorie. En effet, Piaget a décrit le mécanisme général du développement cognitif de l’enfant en termes de « déséquilibre » et d’ « accomodation » (cf. par exemple 1977a [1936], 1977b [1937], Piaget et Inhelder, 1966). Plus précisément, selon lui, l’enfant « construit » spontanément et inconsciemment des « structures cognitives » pour mettre en ordre ses expériences et anticiper les effets des actions qu’il mène dans son environnement physique et social.
- Si elles le peuvent, les nouvelles expériences sont « assimilées » par les structures cognitives de l’enfant, c’est-à-dire intégrées à elles en les faisant évoluer de façon graduelle. Nous sommes dans un porcessus d'assimilation.
- Lorsque de nouvelles expériences ne peuvent pas rentrer dans le moule de ces structures, ces dernières provoquent un « déséquilibre », elles perturbent l’enfant sur le plan cognitif. Toujours spontanément et inconsciemment, l’enfant va alors progressivement remplacer certaines parties de ces structures cognitives et les réorganiser (ce processus d’adaptation ne s’opérant pas subitement mais sur le long terme). Piaget désigne ce processus d’adaptation par les termes « accomodation » ou « équilibration ».[1] Par ce processus de « déséquilibre » et « d’accommodation », Piaget met en évidence l’existence de ces conceptions qui sont « construites » par les enfants.
L’apprentissage constitue ainsi une « sophistication » des schèmes opératoires qui résulte de deux processus complémentaires précédemment évoqués : « l’assimilation » (incorporation de nouvelles informations issues de l’environnement) et l’accomodation qui consiste à modifier la structure cognitive de base pour y incorporer des informations nouvelles.
La connaissance n'est donc jamais achevée!
Schématisation du processus d'assimilation
Schématisation du processus d'accomodation
[1] Bachtold Manuel, 2012, « Les fondements constructivistes de l’enseignement des sciences basé sur l’investigation »
[2] « Un schème est cette partie du cycle perceptif tout entier, qui est interne au percevant, susceptible d’être transformée par l’expérience, et, est d’une certaine façon spécifique à ce qui est perçu. Le schème enregistre l’information quand elle devient accessible aux organes de sens, et est transformé par cette information. Il dirige les mouvements et les activités d’investigation, qui rendent disponibles d’autres informations, et est de nouveau transformé par ces dernières. » NEISSER U., Kognition und Wirklichkeit. Prinzipien und Implikationen der kognitiven Psychologie, übersetzt von R.BORN, Stuttgart, Klett-Cotta, 1979. C’est cette traduction allemande qui est ici employée.
1.2 Apports du constructivisme sur l'enseignement/apprentissage
De cette conception de l'apprentissage, Piaget ( mais aussi les chercheurs qui s'inspireront de son modèle) a souligné ses impacts pédagogiques. Elle stipule que, pour que les apprentissages se déroulent dans des conditions optimales, l’environnement de l’apprenant doit être propice et adéquat par rapport à son niveau d’expérience et de développement biologique et mental, mais il doit aussi être en lien avec ses intérêts. En effet, la connaissance ne peut être durable que lorsqu’elle peut être liée à des connaissances acquises antérieurement. Par ailleurs, elle redefinit les rôles des principaux acteurs de l'enseignement.
a- Rôle de l'apprenant
Parce que l'apprenant construit ses propres connaissances, son rôle est plus que jamais mis en valeur par la théorie constructiviste. En effet, l'enseignement constructiviste est fondé sur la croyance que les élèves apprennent mieux quand ils s'approprient la connaissance par l'exploration et l'apprentissage actif. Les mises en pratique remplacent les manuels, et les apprenants sont encouragés à penser et à expliquer leur raisonnement au lieu d'apprendre par cœur et d'exposer des faits.
De manière plus précise, on peut dire que :
- Les apprenant viennent en classe avec une expérience du monde et un apprentissage antérieur long de plusieurs années.
- Même pendant qu'il évolue, un apprenant filtre toutes ses expériences à travers sa conception du monde et cela affecte l'interprétation de ses observations.
- Changer leur vision du monde exige des apprenants un travail important.
- Les étudiants apprennent mieux en faisant.
- Permettre et créer pour tous des occasions de se faire entendre favorise la construction de nouvelles idées.
Cette théorie encourage donc les élèves à prendre les devants dans leur processus d’apprentissage et à développer leur propre compréhension du sujet en posant des questions, en explorant des idées et en résolvant des problèmes. Elle place ainsi l'apprenant au centre même du processus d'apprentissage.
Le constructivisme percoit l'enseignement comme un processus d'accampagenement et de facilitation vers la constructuion des savoir. De ce fait, le rôle principal de l'enseignant(e) consisterait plutôt à mettre les significations de l'apprenant au défi. Pour ce faire, l'enseignant le supporte dans sa recherche de sens : il lui pose des questions, stimule sa curiosité, met ses conceptions à l'épreuve, le guide au besoin, l'oriente non pas vers des buts d'enseignement définis à l'avance mais vers l'élaboration d'une interprétation personnelle des choses. Bref, il fournit à l’élève les outils et le soutien nécessaires pour mener à bien l’apprentissage. En cela, il diffère des tendances traditionnelles, qui considèrent l’enseignement comme la transmission des connaissances du chef de l’enseignant au chef de l’élève, quand ce n’est pas la simple mémorisation de ce qui est écrit dans un livre.
Une vision constructiviste de l'éducation valorise donc une pédagogie active et non directive et donne priorité à des aspects tels qu'un contexte réel d'apprentissage, un enseignement-soutien plutôt qu'un enseignement-intervention, la découverte guidée, l'encouragement à explorer divers points de vue sur un thème etc.
1.3 Avantages et limites
a- Les avantages
Les avantages d'une approche constuctivisme sont considérables. Nous en citerons les principaux. l'approche developpe :
- L'apprentissage actif : l'élève est encouragé à construire son propre savoir ;
- La motivation : en participant activement à leur apprentissage, les élèves deviennent plus engagés et motivés ;
- L'implication : La motivation permet aux élèves de mieux s'impliquer activiment ce qui favorise une compréhension plus approfondie du sujet et leur permet d'établir des liens entre les nouvelles informations et leurs connaissances antérieures;
- Connexions avec le monde réel : les apprenants sont encouragés à relier leur apprentissage à des situations et des expériences du monde réel. Cela les aide à voir la pertinence de leur apprentissage et les encourage à s’approprier l’application pratique de leurs connaissances;
- Auto-évaluation : En les amenant à réfléchir à leur apprentissage, les apprenants sont amenés à se fixer des objectifs et à évaluer leurs progrès. Cela favorise la conscience de soi, la métacognition et le sentiment de responsabilité envers leur propre apprentissage;
Le constructivisme tend à l'élimination des catégories et des tests standardisés. Au lieu de cela, l'évaluation devient partie prenante de l'apprentissage de sorte que les étudiants jouent un plus grand rôle en jugeant leurs propres progrès.
- Choix et autonomie : les apprenants ont des choix dans leur apprentissage, comme la sélection de sujets, de projets ou de méthodes de présentation. Cela leur permet de s’approprier leur apprentissage et encourage la motivation intrinsèque;
- La pensée critique : elle encourage les élèves à s'engager dans des activités qui les obligent à réfléchir de manière critique, à analyser des informations et à résoudre des problèmes ;
- L'apprentissage inidicualisé : la mise en œuvre du constructivisme permet des expériences d’apprentissage individualisées c'est-à-dire entre autres apprendre à son rythme, avoir un contenu adapté...
Ses principaux avantages, selon ses adeptes, conduisent vers la construction d’individus autonomes, créatifs et désireux d’apprendre, dans un environnement qui tient compte de leurs besoins, attitudes et croyances pour leur offrir un environnement idéal pour apprendre
b- Les limites
Selon le modèle piagétien, l'enseignement a pour objet de confronter l'apprenant à des situations riches et diversifiées de manière à créer des interactions propices au développement cognitif. Toutefois Piaget souligne que le développement cognitif est essentiellement spontané et que dès lors on n'a pas avantage à vouloir accélérer le développement au-delà de certaines limites.
D'autres chercheurs, par contre, considèrent que c'est une des missions de l'école que de favoriser ce développement cognitif par des approches pédagogiques adaptées. En particulier un auteur comme Seymour Papert estime que le recours à l'ordinateur permet de concrétiser le domaine formel à travers l'utilisation d'environnements d'apprentissage qui confrontent l'élève avec des problèmes concrets proches de ceux qu'il rencontrerait en situation réelle.
En plaçant l'élève face à des situations simulées, il est possible d'aborder des problèmes complexes de manière intuitive et de passer à la formalisation par la suite lorsque l'élève maîtrisera suffisamment les outils nécessaires. Toutefois, il serait abusif, comme certains l'on fait, de conclure que tout apprentissage doit être basé sur une redécouverte active des notions et des principes. Nous pensons, au contraire, qu'il s'agit là d'une interprétation caricaturale du modèle piagétien qui amène parfois certains chercheurs à refuser toute communication directe du maître vers ses élèves au nom d'un interactionnisme absolu. Au contraire, il est bien souvent beaucoup plus efficace de transmettre certaines connaissances (comme des informations factuelles, voire certaines règles et certains principes de base) plutôt que de les faire redécouvrir de manière tellement artificielle que le processus de redécouverte perd l'essentiel de sa substance formative. À ce propos, une étude fort intéressante réalisée par Kirschner, Sweller & Clark (2006) analyse les bénéfices pédagogiques de diverses méthodes reposant sur la mise en situation et l’apprentissage par découverte (apprentissage par problème) pour conclure à leur inefficacité dans la plupart des cas. Les auteurs soulignent en particulier que les approches constructivistes guident trop peu les élèves et entraînent de ce fait une surcharge cognitive. Cette conclusion est toutefois à nuancer en fonction des résultats obtenus par Mayer (2004) qui souligne que, pour autant que l’apprentissage par découverte soit correctement étayé par le maître, les pairs ou les technologies, l’apprentissage par découverte guidée peut s’avérer plus efficace que l’enseignement direct.
Par ailleurs, la mise en oeuvre en classe de cette approche est tributaire de certaines contraintes de temps spécifiques auxquelles les enseignants peuvent être confrontés comprennent :
- Temps de cours limité : les enseignants disposent souvent d'un temps de cours défini pour chaque leçon, ce qui rend difficile l'intégration de périodes prolongées d'exploration et de discussion entre les élèves.
- Exigences du programme : les enseignants sont souvent tenus de suivre un programme spécifique dans un laps de temps donné, ce qui laisse peu de place à des activités ouvertes et dirigées par les étudiants.
- Exigences en matière d'évaluation : des contraintes de temps peuvent également résulter de la nécessité d'administrer et de noter des évaluations, ce qui peut limiter le temps disponible pour les activités constructivistes.
- Besoins individuels des élèves : les enseignants doivent également tenir compte des différents besoins et capacités de leurs élèves, ce qui peut compliquer davantage la gestion du temps.
- Ressources limitées : la mise en œuvre du constructivisme nécessite souvent des ressources et du matériel supplémentaires, qui peuvent ne pas être facilement disponibles dans les délais impartis.
Conclusion
Le constructivisme est une manière de penser le savoir, une référence pour construire des modèles de l'enseignement, de l'apprentissage et des programmes d'études. Dans ce sens, c'est une philosophie.
Dans cette perspective, l'enseignement devient l'établissement et le maintien d'une langue et de moyens de communication entre le professeur et les apprenants, aussi bien qu'entre les apprenants eux-mêmes. Présenter simplement le matériel, énoncer les problèmes et recevoir des réponses n'est pas un processus de communication assez raffiné pour un apprentissage efficace.
Comme nous l’avons déjà évoqué un apprentissage efficace correspond à un bon équilibre entre d’une part, la découverte et l’initiative personnelle et d’autre part, le guidage systématique de l’apprenant. L’équilibre entre la régulation externe par l’enseignant et l’autorégulation par l’apprenant peut varier en cours d’apprentissage en fonction des caractéristiques individuelles des apprenants et de leur progression vers les compétences visées.
Pour aller de l'avant, nous vous conseillons vivement de regarder cette intrevention de Piaget :
https://youtu.be/0XwjIruMI94
Bibliographie
Arcà, M. et Caravita, S., Le constructivisme ne résout pas tous les problèmes, Aster, 16, 1993, p. 77-101.
Piaget, J., La naissance de l’intelligence chez l’enfant. Neuchâtel, Paris : Delachaux et Niestlé. 1977a [1936].
Piaget, J., La construction du réel chez l’enfant. Lausanne : Delachaux et Niestlé. 1977b [1937].
A découvrir aussi
- Chapitre B : Le béhaviorisme et le néo-béhaviorisme
- Chapitre C : Le gestaltisme
- Chapitre F : Théories linguistiques et approches d'enseignement/apprentissage