LINGUISTIQUE ET DIDACTIQUE

LINGUISTIQUE ET DIDACTIQUE

Chapitre I : Du français langue étrangère au français langue de scolarisation

1. L’émergence du concept FLS

Depuis la diffusion de l’enseignement du français dans le monde, l’institution scolaire et les didacticiens de langues ne reconnaissent que deux domaines d’enseignement : celui du français langue maternelle et celui du français langue étrangère. On distinguait alors ces deux domaines en fonction des publics visés par l’enseignement du français. Dans le premier contexte, le français est enseigné à des natifs (des élèves dont le français est leur première langue de socialisation) dans le second il est enseigné à des non-natifs (des élèves dont le français n’est pas leur langue première). Ainsi, l’appellation FLE regroupe  toutes les situations :

[…] où le français est enseigné comme langue vivante étrangère, en première, deuxième ou énième position, en Angleterre, URSS, Amérique latine par exemple, qu’il s’agisse d’enseignements d’enfants en situation scolaire, ou de cours du soir donnés en formation d’adultes, ou bien dans les centres culturels français à l’étranger et les Alliances françaises. On parlera aussi de FLE lorsque des étudiants étrangers viennent en France suivre des cours dans des centres spécialisés, universitaires ou privés. (Verdelhan-Bourgade, 2002 :6)

 

Dans les années 70, avec le développement de l’enseignement du FLE dans le monde et en particulier dans les colonies françaises, les didacticiens se rendent compte que les contextes où le français est enseigné à des non-natifs sont diversifiés et le français n’y a pas toujours le même rôle statuaire et social. Les différents échecs pédagogiques observés en Afrique-francophone, additionnés à une politique de valorisation des langues et cultures nationales plus ou moins affirmée, en lien avec la montée des revendications sociales et politiques, font émerger l’idée d’un autre type de français qui n’est ni du FLM ni vraiment du FLE. C’est dans ce contexte qu’en 1972, une nouvelle désignation voit le jour : "le français langue seconde" qui serait employée pour la première fois par des ministres africains. En 1976, Robert Galisson et Daniel Coste introduisent le terme dans leur Dictionnaire de didactique des langues, tout en le qualifiant d’ « expression pédagogiquement non justifiée » parce que non distincte du FLE (1976 : 478). Selon Verdelhan-Bourgade (2002 :7 ) « le terme est employé de plus en plus fréquemment à partir de 1981 et admis officiellement après 1985. ». Il faut attendre 1991 pour que l’ouvrage de J-P Cuq intitulé Le français langue seconde (désormais FLS) popularise la notion et la conceptualise. Que recouvre précisément ce concept de FLS ?


2. Définition du concept FLS

Pour de nombreux didacticiens du FLE, le FLS est une variante du FLE. Ceci  est particulièrement visible chez Cuq qui dans son ouvrage Le français langue seconde (1991) intègre explicitement le concept FLS dans le domaine du FLE. Toutefois, les définitions des spécialistes divergent sur les caractéristiques du FLS.

Ainsi, certains, influencés par la sociolinguistique anglo-saxonne, et par la présence de l’adjectif « seconde », le définissent comme la seconde langue apprise par un individu. « Il est clair qu’on gagne beaucoup à appeler langue seconde tout système acquis chronologiquement après la langue première » (Martinez, 1999 : t.2, section 12, p3). Ceci peut effectivement être le cas, mais une telle définition n’est pas toujours valable. A Djibouti, le français qui occupe un statut de langue seconde, peut être appris après deux ou trois langues locales. Par exemple, il n’est pas rare qu’un enfant afarophone ou arabophone apprenne le français après avoir acquis sa langue maternelle (l’afar ou l’arabe) et le somali, langue véhiculaire dans la capitale. De plus, le fait que dans certains contextes, l’enfant se trouve en situation de plurilinguisme original[1] dès le départ met à mal l’expression « langue première ».

D’autres spécialistes insistent, dans leur définition, sur le rôle statuaire et social du  français. Contrairement au FLE, le FLS joue un rôle important sur le plan social, éducatif, politique et juridique. Il s’agit de « la valeur ajoutée ». Selon Cuq, qui en donne une définition sociolinguistique en insistant sur son statut institutionnel, « le français est langue seconde, partout où langue étrangère, son usage est socialement indéniable » (1991 :133). Par "socialement indéniable " on entend une langue qui possède un rôle dans la gestion des affaires publiques (langue de l’Etat), généralement reconnue par la constitution qui en préconise l’usage dans les administrations, l’école, la justice comme c’est le cas dans beaucoup de pays francophones tel que Djibouti.

Ces définitions, quels que soient les traits et les paramètres qu’elles mobilisent,  vont permettre de couvrir des situations très diverses. Pour donner une idée claire de ces différentes situations, Gérard Vigner (2001 : 9) propose, dans son ouvrage Enseigner le français comme langue seconde, un tableau récapitulant les différents lieux et modes de mise en place de l’enseignement/apprentissage du FLS :

 

 

Zone

géographique

Contexte

Visée

Mode

d’introduction

Afrique noire

francophone

en contexte multilingue

partiellement

francophone

scolarisation

immersion/

monolingue

Magreb

en contexte bilingue

partiellement

francophone

accompagnement

bilinguisme

successif

Etablissements à

sections bilingues

langue nationale/

langue française

en contexte

exolingue

accès plurilingue

aux savoirs

bilinguisme

simultané

DOM/TOM

France

en contexte

francophone bilingue

intégration scolaire

immersion/

monolingue

CLIN et CLA

France +

classes de migrants en

pays francophones

en contexte

francophone monolingue

intégration scolaire

immersion/

monolingue

Etablissements

français

à l’étranger

en contexte

exolingue

intégration scolaire

immersion/

monolingue

Québec

en contexte

francophone

intercompréhension

communautaire

immersion

Océan indien

en contexte multilingue

partiellement

francophone

accès plurilingue

aux savoirs

bilinguisme

successif

 

Devant cette multitude de situations, très vite, au concept de FLS va être lié, celui de « langue de scolarisation », un dénominateur commun à ces différentes situations de FLS d’où l’emploi, de plus en plus courant, de l’expression « français langue seconde langue de scolarisation » (désormais FLSsco).

Selon Verdelhan-Bourgade, (2002 : 27), l’expression « langue de scolarisation » serait introduite par Gérard Vigner en 1989, suite à l’analyse de certaines situations africaines, analyse qui lui permet d’affirmer que « Le français en Afrique est d’abord la langue de l’écolier, langue apprise et utilisée en situation scolaire ». Mais elle reconnait que la notion « se trouvait sous-jacente, en 1988, dans l’article de Ginette Barbé intitulé « Français langue seconde : Attention travaux ! » où l’auteur pointait déjà le doigt sur le type de pédagogie à mettre en place pour les situations où le français est appris et utilisé à l’école.

Si l’expression est jeune, le concept est quant à lui assez vieux et il n’a pas attendu la colonisation de l’Afrique ni l’arrivé des immigrants pour émerger. En effet, l’histoire de la langue française, nous révèle que dès 1880, lorsque l’enseignement primaire est rendu obligatoire en France, le français est devenu une langue seconde et une langue de scolarisation pour des milliers de citoyens français qui avaient pour langue maternelle un parler local autre que le français.

L’historique du français langue de scolarisation est donc lié à celui du FLS et du FLE. Ce sont les différentes réflexions qui ont porté d’abord sur le FLE puis sur le FLS qui ont permis l’émergence de ce concept et des implications didactiques qui lui sont sous-jacents et que nous développerons dans le prochain cours.

 

BIBLIOGRAPHIE:

CALVET, Louis-Jean, 1999, Pour une écologie des langues du monde, Plon.

CASTELLOTI V. & H. CHALABI (dir.), 2006, Le français langue étrangère et seconde - Des paysages didactiques en contexte, Paris, L’harmattan.

CUQ, Jean-Pierre, 1991, Le français langue seconde, Hachette.

CUQ J-P, Gruca I., 2003, Cours de didactique du français langue étrangère et seconde, PUG.

MAURER B., 2013,  « La didactique du FLS, entre approches communicatives et français de scolarisation » Tréma [En ligne], 7 |  1995, mis en ligne le 23 septembre 2013,

MARTINEZ P., 2003, Français langue seconde : apprentissage et curriculum, Paris, Maisonneuve & Larose.

NGALASSO Mwatha Musanji, 1992, « Le concept de langue seconde » Etude de Linguistique Appliquée, n°88.

PORCHER, Louis, 1995, Le français langue étrangère, Hachette.

SPAETH V., 2005, « Le français langue seconde et sa fonction d’enseignement en Afrique francophone : problèmes et perspectives». Dans Beacco, Chiss, Cicurel, Véronique (dir.), Les cultures éducatives et linguistiques dans l’enseignement des langues, pp.183- 203.

VERDELHAN-BOURGADE Michèle, 2002, Le français de scolarisation, pour une didactique réaliste, Puf.

VERDELHAN-BOURGADE Michèle, (dir.), 2008, Le français langue seconde : un concept et des pratiques en évolution, Bruxelles, De Boeck.

VIGNER Gérard, 2001, Enseigner le français comme langue seconde, CLE International.

-------------------, 1992, « Le français langue de scolarisation », Etudes linguistiques Appliquée, n°88, Paris, Didier.

-------------------, 1987, « Le français langue seconde : une discipline spécifique », Diagonales, n°4, p42-45, Paris, Hachette-EDICEF.

-------------------, 1989, « Le français langue de scolarisation », Diagonales, n°12, Paris, Hachette-EDICEF



[1] J’évoquerai à titre illustratif, le cas d’enfants issus d’un couple djiboutien afarophone/somalophone et dont la grand-mère est arabophone. Dès le départ, les enfants sont en contact avec ces trois langues (afar, somali, arabe) avant d’aller à l’école et d’apprendre la français.

 

Commentez ce passage extrait de l'article de Bruno Maurer « La didactique du FLS, entre approches communicatives et français de scolarisation »

 

Force est de constater, avec J.-P. Cuq (1992 : 5), que le concept de français langue seconde a du mal à « entrer dans la panoplie intellectuelle » des chercheurs en didactique. Les didacticiens du français sont actuellement partagés entre deux attitudes dont [..] Soit la distinction n'est pas faite entre français langue seconde et français langue étrangère (E. Roulet), soit elle est considérée comme pédagogiquement non justifiée (R. Galisson et D. Coste).

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14/10/2013
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