LINGUISTIQUE ET DIDACTIQUE

LINGUISTIQUE ET DIDACTIQUE

Chapitre III : Une approche d'enseignement complexe et plurielle

1- Une approche pluriméthodologique

L’approche pluriméthodologique ou éclectique, sans être un concept complètement nouveau en didactique des langues, est, depuis les années 90, prônée dans l’enseignement/apprentissage des langues et des cultures étrangères. Christian Puren dans son ouvrage La didactique des langues étrangères à la croisée des méthodes/ Essai sur l’éclectisme (1994), présente l’éclectisme méthodologique comme une démarche qui permet de tenir compte de la complexité de toute situation d’enseignement/ apprentissage des langues, complexité qui subit au niveau des méthodologies ou approches à cohérence forte une simplification réductrice qu’il déplore.

Longtemps, prôné pour l’enseignement/apprentissage du FLE, l’éclectisme méthodologique sera au début des années 2000 explicitement exhorté pour celui du FLSco, notamment par Verdelhan-Bourgade (2002 :90-91) qui affirme que « […] sur le plan méthodologique, on ne peut considérer, en quelque situation que ce soit, qu’il n’y a qu’une méthodologie adéquate, celle du courant dominant à une époque donnée. ». Cependant, elle prône l’approche communicative qu’elle  considère comme nécessairement plurielle parce que complexe (familiarisation linguistique et culturelle, et compréhension des enjeux sociaux qui y sont liés) :

Une approche méthodologique, tout en s’inscrivant dans une dominante, ici une démarche communicative, refuse de se priver d’outils ou de techniques appartenant à d’autres approches. D’autant que, sur le plan méthodologique, on ne peut considérer, en quelque situation que ce soit, qu’il n’y a qu’une méthodologie adéquate, celle du courant dominant à une époque donnée. Chaque méthodologie est une réponse correspondante aux besoins analysés avec des connaissances ajustées à un certain moment. » (Verdelhan-Bourgade, 2002 :90)

Christian Puren emprunte le paradigme de la complexité à Edgar Morin, considérant que toute approche qui cherche à appréhender une réalité complexe se doit de chercher à prendre en compte le maximum de données, de refuser toute pensée unique et de défendre une forme d’éclectisme, réfléchi, en phase avec la réalité de la pratique des maîtres, hétérogène et diversifiée dans ses références théoriques et méthodologiques.  En didactique des langues-cultures, l’éclectisme est une nécessité : la didactique du FLSco s’inscrit aussi dans ce paradigme de la complexité. Cependant, il faut retenir que :

L’éclectisme en didactique du F.L.E. est à l’opposé du n’importe quoi méthodologique : il implique de pratiquer des choix méthodologiques reposant sur un critère: l’efficacité; il impose de délaisser une cohérence globale pour des cohérences locales; enfin, il requiert pour sa mise en pratique des enseignants dotés d’une formation didactique approfondie » (Richer, 2011 : 27)

Le concept connait actuellement un succès :

La résurgence actuelle de l’éclectisme en didactique des langues […] a trouvé une confirmation institutionnelle dans le Cadre européen commun de référence pour les langues (2001) (désormais désigné par C.E.C.R.) qui affiche une position méthodologique éclectique lisible notamment à travers des notations incidentes telle celle qui souligne la diversité des démarches possibles en matière d’enseignement de la grammaire pour mieux mettre en relief une position médiane éclectique: «Entre ces deux extrêmes (un apprentissage fondé sur les règles vs un apprentissage fondé sur l’usage), la plupart des étudiants et des enseignants «courants», ainsi que les supports pédagogiques, suivront des pratiques plus éclectiques.» (2001: 109) (Richer, 2011 : 27)
 

2- Une approche pluridisciplinaire

Une des principales caractéristique du FLSco, est, comme nous l’avons précédemment, démontrée réside dans le fait qu’il s’agisse d’une langue « vecteur » des apprentissages des disciplines non linguistiques (désormais DNL). Dès lors, comme le préconise Verdelhan-Bourgade "Une relation dialectique doit s’établir entre l’enseignement du français et celui des autres disciplines : le français sert à l’enseignement des autres disciplines, lesquelles servent aussi à l’enseignement du français. Cela suppose que le « cours » de français, au lieu de fonctionner de manière autonome, prévoie, anticipe les problèmes qui vont se poser dans les autres apprentissages." (2002 :91).

La prise en compte de cette spécificité, préoccupation que l’on retrouve également en contexte FLM, peut se faire par la mise en place d’une approche plurielle qui peut se concrétiser de différentes manières (lire Verdelhan-Bourgade p.226-227). Nous en retiendrons deux, qui peuvent être exploitées selon que la langue première des apprenants est prise en compte ou pas.

  • La premières consiste à intégrer dans le cours et/ou dans le manuel de français des éléments lexicaux, langagiers, linguistiques et discursifs relatifs aux différentes disciplines, et/ou en proposant des contenus sur les différentes disciplines considérées afin de faciliter l’acquisition des différentes compétences que celles-ci visent. Cette formule permet aux apprenants de prendre conscience « que le français n’est pas un domaine simplement juxtaposé aux autres disciplines, et qu’il sert aussi à leur apprentissage » (idem). Elle peut être exploitée en République de Djibouti, où, d’une part, la langue des apprenants n’est pas introduite à l’école. et, où, d’autre part, à l’instar de nombreux autre pays, les instituteurs enseignent à la fois le français et les DNL.
  • La seconde consiste à faire appel à la langue maternelle des apprenants, « à dissocier les apprentissages dans le temps : un premier temps en langue maternelle pour acquérir les structures linguistiques et les raisonnements de base, un deuxième en langue seconde pour apprendre les savoirs et les méthodes d’analyse ; c’est la voie des pédagogies dites « convergentes », en usage dans certains pays africains. » (idem). Cette seconde formule si elle permet de repartir les difficultés d’apprentissage dans le temps « se heurte au fait que la langue d’enseignement initial est souvent, d’une part, une langue elle-même seconde pour les élèves, et de plus, orale, sans support d’écrit scientifique (idem). 

Quelque soit la solution adoptée, l’essentiel est de retenir que la fonction de scolarisation d’une langue « impose que l’enseignement linguistique et langagier ait en double perspective l’apprentissage de son propre domaine et celui des savoirs disciplinaires » (Verdelhan-Bourgade 2002 : 228).

3- Une approche pluriculturelle

L’analyse des manuels FLE et FLSco montre que la culture cultivée et/ou anthropologique française est très présentes en FLE alors qu’en FLS elle est généralement délaissée au profit d’une culture plus ou moins locale. Cette prédominance des « particularismes locaux » est due au fait que « la différence entre la culture d’origine de l’apprenant et la culture-cible est présentée souvent comme un obstacle majeur) l’apprentissage de la langue seconde, alors que ce n’est pas le cas dans celui de la langue étrangère».

Dès lors le manuel FLS regorge de personnages aux traits physiques caractéristiques de chaque pays considéré, une faune et une flore qui lui est propre ainsi que des faits culturels qui lui sont spécifiques. Cette volonté a d’ailleurs connue quelques dérives. En effet, en Afrique, les premiers manuels FLS (notamment ceux du CLAD) ont véhiculé une culture africaine unique et "universaliste" qui reflète les représentations qu’avaient les concepteurs français de l’époque sur l’Afrique. La non prise en compte de la pluralité culturelle africaine a eu pour conséquence de présenter dans les manuels des références culturelles différentes du pays qui utilise le manuel. Ainsi, en RDD, pendant longtemps, à travers les manuels du CLAD, Pour Parler Français, la culture sénégalaise a été diffusée dans un contexte djiboutien aux références situationnelles différentes de celles du Sénégal.

 

En effet, le PPF prenait comme support référentiel le mode de vie sénégalais : ce sont des personnages, des habitudes, des objets, une faune et une flore typiquement sénégalais, qui sont présentés à l’enfant djiboutien. Or la réalité locale de ce dernier est de loin, différente de la nôtre. Il en résulte que l’élève djiboutien, plongé dans un environnement qui lui est étranger mais présenté par l’école comme lui étant familier, va transposer des désignations propres au Sénégal sur son environnement. Ainsi, il va assimiler tous les arbres qu’il voit à des "filaos" s’ils sont petits et à des "baobabs" s’ils sont grands ; (alors que ces arbres souvent cités en classe (dans les manuels et en séance de langage) n’existent pas à Djibouti !). De même, le "boubou" ne faisant pas partie de ses habitudes vestimentaires, l’élève djiboutien va l’assimiler presque automatiquement au "dirie" djiboutien. (Souad, 2013 : 36)

 

Il va falloir attendre les années 90 pour qu’enfin le Nouvel Ensemble Didactique prenne en compte la réalité culturelle djiboutienne non sans quelques illogismes tels que l’amitié impossible entre le Chacal et le Cabri, les deux personnages clés de la méthode. (Souad, 2013 : 43)

Aujourd’hui, sans remettre en cause les apports pédagogiques de la prise en compte de la culture locale, « l’apprentissage culturel devrait pouvoir suivre ce double mouvement, à la fois proche du local (pensée de manière plus ou moins large) et ouvert sur l’international francophone. […]. Dabs cette fonction de scolarisation, il importe que soit affirmé le principe du respect des cultures et de leur pluralité. Un apprentissage nouveau ne signifie pas déculturation ou mépris […] » (Verdelhan-Bourgade 2002 : 93-94). Bref, ne plus percevoir la culture autre comme un obstacle mais comme un enrichissement voir même un complément. « Si l’apprenant se sent accepté avec ses caractéristiques culturelles, il peut accepter à son tour plus facilement de comprendre et d’apprendre des comportements culturels nouveaux, spécifiques à l’école. » (idem p.94). Un travail explicite permet de lever ces blocages, avec comme point de départ le respect des cultures et de leur pluralité, affirmé et vécu dans la classe.

 

Bibliographie

MORIN Edgar (1990). Introduction à la pensée complexe. Paris : Editions du Seuil, coll. « Essais ».

PUREN Christian (1994), La didactique des langues à la croisée des méthodes. Essai sur l’éclectisme. Paris : CRÉDIF-Didier, coll. « Essais ». 

RICHER Jean-Jacques (2011), « Quelques remarques sur l’éclectisme en didactique du F.L.E. »

SOUAD Kassim (2012), « Pour une approche interculturelle en contexte djiboutien », Les langues latines et l’interculturalité, Université d’Etat de Moscou (Russie).

SOUAD Kassim (2013), Quelle didactique du français en contexte scolaire djiboutien ? Sarrebruck : Editions Universitaires Européennes.

VERDELHAN-BOURGADE Michèle (2002), Le français de scolarisation. Pour une didactique réaliste, Paris : PUF.

VERDELHAN-BOURGADE Michèle (dir.) (2007). Le français langue seconde : un concept et des pratiques en évolution. Bruxelles : De Boeck.

 





08/07/2014
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