Chapitre 2 : Quelques concepts clés en didactique
Notions clés
- La didactique / pédagogie[1]
- Le triangle didactique
- La transposition didactique
- Le contrat didactique
- La situation didactique
1. La didactique / pédagogie
Didactique et pédagogie sont des termes fréquents dans les écrits sur l'enseignement / apprentissage des langues, mais qui sont souvent employés d'une façon floue, voire même contradictoire, d'un auteur à l'autre.
Traditionnellement, la pratique d'enseignement se répartissait, en accord avec l'étymologie des termes, en didactique (du verbe grec didaskein : enseigner) qui avait trait aux contenus d'enseignement, aux savoirs, et pédagogie (du grec agogein : conduire) qui désignait les moyens de transmettre les savoirs, c'est-à-dire une action orientée vers la classe :
Puis, dans les années 80, cette répartition a été remise en question et le terme pédagogie, « terme fatigué par un trop long usage et qui, de ce fait, pour l'instant, emporte en lui des connotations d'empiricité peu favorables au développement d'une pensée nouvelle » (Halté, 1992, p. 9) s'est effacé pour laisser la place au seul terme de didactique qui a vu alors son contenu sémantique englober les signifiés du terme pédagogie et s'étendre à de nouveaux domaines. Il ne faut donc pas y voir comme nous prévient Halté une confrontation mais une continuité.
2. Triangle didactique
Dans sa définition actuelle, la didactique élargit la réflexion sur la situation éducative aux trois pôles auxquels schématiquement toute situation didactique peut être réduite : le savoir, l'apprenant, l'enseignant et aux relations que ces trois éléments entretiennent entre eux. Elle « s'intéresse au jeu qui se mène (...) entre un enseignant, des élèves, et un savoir (...). Trois places donc : c'est le système didactique. » (Y. Chevallard, 1991, p. 14). La didactique se veut donc être une discipline de description, d'analyse et d'intervention qui théorise les relations existant entre les trois pôles du « triangle didactique », que le schéma ci-dessous représente :
Au niveau du savoir, la didactique pose la question de la transposition didactique, terme qui désigne les transformations (sélection/simplification...) que le savoir savant élaboré par la recherche subit pour devenir savoir à enseigner dans l'espace de la classe.Le niveau de l'apprenant est abordé par la didactique notamment à travers l'opposition enseignement vs apprentissage. Cette opposition renvoie à deux réalités complémentaires, mais différentes : le processus d'enseignement et celui d'apprentissage. Lorsque l'on parle d'enseignement, on se situe du côté de l'enseignant, d'un savoir à transmettre. Lorsque l'on parle d'apprentissage, on se place du côté de l'élève qui est l'élément clé de la situation didactique. Au terme d’élève, on préfère maintenant le terme d’apprenant afin de souligner l'aspect actif de ce rôle.
Ainsi le couplage systématique dans les énoncés de didactique du F.L.E. (et dans ce cours) des termes enseignement et apprentissage sous la forme enseignement/apprentissage du F.L.E. relève d'une volonté de distinguer ces deux aspects complémentaires de la relation éducative.
Le pôle de l'enseignant ouvre pour la didactique une réflexion sur les démarches d'enseignement (démarche d'imposition du savoir vs démarche de découverte), les dispositifs d'enseignement (pédagogie par objectifs/ pédagogie différenciée), etc. mis en oeuvre par l'enseignant.
Ainsi la didactique traduit-elle une volonté de prendre en compte la complexité de la situation d'enseignement/apprentissage afin de rendre plus cohérente l'action d'enseignement. La didactique constitue donc « une discipline théorico-pratique : son objectif essentiel est de produire des argumentations "savantes", étayées et cohérentes, susceptibles d'orienter efficacement les pratiques d'enseignement. » (Halté, 1992, p. 17, je souligne), c'est-à-dire une discipline qui vise l'articulation et la mise en cohérence des trois pôles de la situation éducative.
Le triangle didactique essaie donc de préciser l'objet de la didactique et sa singularité puisqu'il représente les relations entre professeur, élève et savoir. Cette représentation a essentiellement pour but de s'opposer à des schémas linéaires du type professeur-élève. Il s'agit d'une tentative faite pour appréhender et modéliser une situation complexe. Bien sûr, une telle "modélisation" n'est pas à l'abri des critiques. On pourra se reporter aux critiques de Laurence Cornu et Alain Vergnioux, La didactique en questions ?, Paris, Hachette Education,1992, page 120 et suivantes. http://www.urfist.cict.fr/introdi2.html
☻Lire chapitres IV et V (p.15 à 21) et chapitre II (p.50à53) La didactique du français de Jean-François Halté, 1992, PUF.
3. La transposition didactique
Emprunté au sociologue Michel Verret, le concept de transposition didactique a été introduit en didactique avec un large succès. Il apparaît de plus en plus clairement que ce qui s'enseigne n'est pas le décalque simplifié d'un savoir savant, mais résulte d'une reconstruction spécifique pour l'École. C'est cette reconstruction, avec ses étapes et ses processus, qu'on nomme transposition didactique. Elle rejoint ce qu'avait déjà pointé Halbwachs, dans un article classique pertinemment titré : « La physique du maître, entre la physique du physicien et la physique de l'élève ». Ce précurseur savait que le métier de professeur de physique n'est pas réductible à la pratique d'un physicien qui enseignerait !
On distingue deux étapes de la transposition didactique, celle qui fait passer d'un savoir savant à un savoir à enseigner, puis celle qui conduit au savoir enseigné réellement dans les classes. Alors que la seconde s'effectue largement sous la responsabilité du maître, la première est sous le contrôle de ce que Chevallard nomme la noosphère, ensemble hétérogène de ceux qui pensent les contenus d'enseignement, où prennent place aussi bien des universitaires intéressés par les problèmes pédagogiques, que des auteurs de manuels, des inspecteurs, des associations de spécialistes, des enseignants innovateurs, et aujourd'hui... les didacticiens. La transposition didactique aboutit, en définitive, à un savoir scolaire qui se trouve dépersonnalisé, décontextualisé des conditions originelles de sa production et linéarisé pour faciliter le processus d'enseignement.
En bref, la problématique de l'apprentissage porte alors sur un savoir à saisir, à traiter et à mémoriser. Cette distinction enseignement/apprentissage (traduction de l'expression anglaise teaching vs learning) rend compte du fait qu'il n'y a pas équivalence entre l'enseignement délivré par le professeur et le savoir acquis par l'apprenant. L'apprenant assimile, reconstruit à son rythme personnel le savoir nouveau, établit des connexions avec ce qu'il sait déjà, s'approprie personnellement ces connaissances nouvelles, les fait siennes et ce savoir (re)construit par l'apprenant n'est pas une réplique exacte du savoir transmis par l'enseignant, le décalage entre les deux pouvant être important.
4. Le Contrat didactique
Contrat implicite passé entre l’enseignant et les élèves qui garantit, si les clauses du contrat sont respectées par chacun, que les échanges dans la classe se passeront sans difficulté majeure. Ce contrat implicite légitime les statuts, les rôles, les attentes de rôle, de chacun vis- à-vis de l'autre, à condition qu'il n'y ait pas « tromperie sur la marchandise » ou « erreur d'interprétation ». Le concept de contrat didactique est très différent de celui de contrat pédagogique, dont on sait qu'il cherche à expliciter au maximum, pour les élèves, les objectifs et les exigences scolaires.
Le fondement du contrat didactique ne concerne pas la nature de la relation pédagogique : il est d'abord épistémologique. Il résulte notamment des obstacles auxquels s'affrontent les élèves pour apprendre, et de la situation didactique elle-même. Celle-ci doit effectivement mettre les élèves aux prises avec des obstacles, sans qu'on se substitue à eux pour les franchir. Car si l'enseignant explicite trop ce qu'il attend des élèves, la tâche intellectuelle qu'il leur demande s'effondre, et il ne leur reste plus qu'à exécuter mécaniquement une suite d'opérations. « Dans toutes les situations didactiques, le maître tente de faire savoir à l'élève ce qu'il veut qu'il fasse, mais il ne peut pas le dire d'une manière telle que l'élève n'ait qu'à exécuter une série d'ordres. Ce contrat fonctionne comme un système d'obligations réciproques qui détermine ce que chaque partenaire, l'enseignant et l'enseigné, a la responsabilité de gérer, et dont il sera d'une manière ou d'une autre responsable devant l'autre » (Brousseau, 1986). Le contrat définit ainsi le « métier de l'élève », autant que celui du maître, aucun des deux ne pouvant se substituer à l'autre, sans dommage pour le projet d'apprendre.
5. La Situation didactique
Il y a situation didactique chaque fois que l'on peut caractériser une intention d'enseignement d'un savoir par un enseignant à un élève, et que des mécanismes socialement définis sont institués pour cela. Les situations didactiques, caractéristiques du milieu scolaire, comportent nécessairement une intention d'assujettissement des élèves. Cet assujettissement peut prendre plusieurs formes et même être dissimulé.
Il existe aussi la situation a-didactique où l'intention d'enseigner se cache aux yeux de l'élève. L'enseignement consiste à provoquer chez l'élève les apprentissages projetés en le plaçant dans des situations appropriées auxquelles il va répondre "spontanément" par des adaptations.
Une situation non didactique est une situation sans finalité didactique pour laquelle le rapport au savoir s’élabore comme un moyen économique d’action (= apprendre action (= apprendre à faire du vélo)
Bibliographie :
HALTE J-F., 1992, La didactique du français, PUF.
Caspar P., Problèmes, méthodes et stratégies de résolution, Éditions d'Organisation, 1978.
Chevallard Y., 1984, La transposition didactique, La Pensée Sauvage.
Cuq J-P. et Grucca I., 2003, Cours de didactique du français langue étrangère et seconde, PUG.
Develay M., De l'apprentissage à l'enseignement, Paris, ESF, 1992
Raynal (Fr), Rieunier (A), Pédagogie : dictionnaire des concepts clés, Paris, ESF éditeur, 1998, pp 202-205.
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