Chapitre 4 : Les pricipaux courants méthodologiques
I. Méthode / méthodologie
Méthode
[Entrée rédigée pour le Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde, J.-P. Cuq dir., ASDIFLE-CLE international, 2004, 304 p.] Dans la littérature didactique actuelle, le mot « méthode » est utilisé couramment avec trois sens différents, celui de matériel didactique (manuel + éléments complémentaires éventuels tels que Livre du maître, cahier d’exercices, enregistrements sonores, cassettes vidéo,… : on parle ainsi de la « méthode » De vive voix ou Archipel), celui de méthodologie (on parle ainsi de la « méthode directe du début du siècle ») enfin celui qu’il possède dans l’expression « méthodes actives ». Pris dans ce dernier sens, une « méthode » correspond en didactique des langues à l’ensemble des procédés de mise en œuvre d’un principe méthodologique unique. La « méthode directe » désigne ainsi tout ce qui permet d’éviter de passer par l’intermédiaire de la langue source (l’image, le geste, la mimique, la définition, la situation, etc.) ; la « méthode active » tout ce qui permet de susciter et maintenir l’activité de l’apprenant, jugée nécessaire à l’apprentissage (choisir des documents intéressants, varier les supports et les activités, maintenir une forte « présence physique » en classe, faire s’écouter et s’interroger entre eux les apprenants, etc.).
Ces méthodes peuvent être reliées entre elles par articulation
Méthodologie
[Entrée rédigée pour le Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde, J.-P. Cuq dir.,ASDIFLE-CLE international, 2004, 304 p.]1. Utilisée à l’indéfini et/ou au pluriel (« une méthodologie », « les méthodologies », « des méthodologies », ce mot désigne des constructions méthodologiques d’ensemble historiquement datées qui se sont efforcées de donner des réponses cohérentes, permanentes et universelles à la totalité des questions concernant les manières de faire dans les différents domaines de l’enseignement/apprentissage des langues (compréhensions écrite et orale, expressions écrite et orale, grammaire, lexique, phonétique, culture), et qui se sont révélées capables de mobiliser pendant au moins plusieurs décennies de nombreux chercheurs, concepteurs de matériels didactiques et enseignants s’intéressant à des publics et contextes variés, de sorte qu’elles se sont complexifiées et fragilisées en tant que systèmes en même temps qu’elles se sont généralisées : la méthodologie traditionnelle dite de « grammaire-traduction » du XIXe siècle, la méthodologie directe des années 1900-1910, la méthodologie audio-orale américaine des années 1950-1960 et la méthodologie audiovisuelle des années 1960- 1970 ;
II. Les principaux courants méthodologiques
En didactique du français en tant que langue étrangère – et peut être même dans l’éducation en général - les innovations et les progrès décisifs ne viennent pas, dans la majorité des cas de la discipline interne, mais sont le produit de causes et d’exigences externes. Cette remarque s’applique aussi bien à la massification des enseignements secondaires et supérieurs des années 1960 (cf. remarque de J.K. Galbraith), qu’à l’apparition des méthodes audio-orales (Etats Unis 1942), audio-visuelles (années 1960 en France) ou communicatives (années 1980) et des progrès en formation continue. Ainsi, depuis un demi-siècle, les innovations sont-elles le produit d’influences et de causes exogènes pour une large part.
1. La méthodologie traditionnelle
Elle fut largement adoptée dans le 18 ème et la première moitié du 19 ème siècle. Elle est notamment appelée la méthodologie de la grammaire - traduction. Beaucoup de chercheurs considèrent que son utilisation massive a donné lieu à de nombreuses évolutions qui ont abouti à l’apparition des nouvelles méthodologies modernes.
Cette méthodologie se basait sur la lecture et la traduction de textes littéraires en langue étrangère et plaçait donc l’oral au second plan. La langue étrangère était décortiquée et présentée comme un ensemble de règles grammaticales et d’exceptions, qui pouvaient être rapprochées de celles de la langue maternelle. L’importance était donnée à la forme littéraire sur le sens des textes, même si celui-ci n’est pas totalement négligé. Par conséquent, cette méthodologie affichait une préférence pour la langue soutenue des auteurs littéraires sur la langue orale de tous les jours. La culture était perçue comme l’ensemble des oeuvres littéraires et artistiques réalisées dans le pays où l’on parle la langue étrangère.
La langue utilisée en classe était la langue maternelle et l’interaction se faisait toujours en sens unique du professeur vers les élèves. L’erreur et l’hésitation étaient refusées et passibles de punition pour outrage à la langue.
Le vocabulaire était enseigné sous forme de listes de centaines de mots présentés hors contexte et que l’apprenant devait connaître par cœur.
En effet, le sens des mots était appris à travers sa traduction en langue maternelle. La rigidité de ce système et ses résultats décevants ont contribué à sa disparition et à l’avènement d’autres théories plus attrayantes pour les élèves.
Manuel référence : MAUGER Gaston, Cours de langue et de civilisation française I, (le Mauger Bleu), 1e éd. 1953
2) La méthodologie de « la méthode directe »
On appelle méthodologie directe la méthode utilisée vers la fin du 19 ème siècle et le début du 20 ème siècle en France et en Allemagne. En France, son apparition résulte d’une évolution interne de la méthodologie traditionnelle ( apparition des CTOP) et le terme aparait pour la première fois dans la circulaire du 15 novembre 1901. Mais son apparition est également dû à une volonté politique. En effet, dès la fin du 19 ème siècle la France désirait s’ouvrir sur l’étranger. La société ne voulait plus d’une langue exclusivement littéraire, elle avait besoin d’un outil de communication qui puisse favoriser le développement des échanges économiques, politiques, culturels et touristiques qui s’accélérait à cette époque. Les besoins d’apprentissage des langues vivantes étrangères évoluent ainsi vers un nouvel objectif qui se veut plus “pratique” et qui visait une maîtrise effective de la langue comme instrument de communication. et elle est considérée, historiquement, comme la première méthodologie spécifique à l’enseignement des langues vivantes étrangères (Puren).
2.1 Les principes de la MD
La méthodologie directe constituait une approche naturelle de l’apprentissage d’une langue étrangère fondée sur l’observation de l’acquisition de la langue maternelle par l’enfant. Elle se base sur l’utilisation de plusieurs méthodes : méthode directe, active et orale.
- méthode directe : ensemble des procédés et des techniques permettant d’éviter le recours à la langue maternelle dans l’apprentissage, ce qui a constitué un bouleversement dans l’enseignement des langues étrangères. Il s'agit du principe de base qui la distingue de la méthodologie traditionnelle. Cependant l’opinion des méthodologues directs sur l’utilisation de la langue maternelle divergeait : certains étaient partisans d’une interdiction totale, tandis que la plupart étaient conscients qu’une telle intransigeance serait néfaste et préféraient une utilisation plus souple de la méthode directe.
- méthode orale : ensemble des procédés et des techniques visant à la pratique orale de la langue en classe. Les productions orales des élèves en classe constituaient une réaction aux questions du professeur afin de préparer la pratique orale. L’objectif de la méthode orale était donc pratique.
Le passage à l’écrit restait au second plan et était conçu comme le moyen de fixer par l’écriture ce que l’élève savait déjà employer oralement, c’est ce que certains ont nommé un "oral scripturé". La progression vers la rédaction libre passait par la dictée, puis par des reproductions de récits lus en classe et enfin par des exercices de composition libre.
- méthode active : ensemble de méthodes visant à rendre l'apprenant plus actif : interrogative (système de questions-réponses entre le professeur et ses apprenants, afin de réemployer les formes linguistiques étudiées), intuitive (explication du vocabulaire qui obligeait l’élève à un effort personnel de divination à partir d’objets ou d’images), imitative (imitation acoustique au moyen de la répétition intensive et mécanique), répétitive (on retient mieux en répétant) ainsi que la participation active physiquement de l’élève (dramatisation de saynètes, la lecture expressive accompagnée par des mouvements corporels, afin d’augmenter la motivation chez l’apprenant).
2.2 Le déclin de la MD
Le déclin de la méthodologie directe fut provoqué par des problèmes aussi bien internes qu’externes. Les problèmes internes les plus importants ont été :
- l’incontrôlable inflation lexicale qui finissait par décourager les apprenants;
- l’intransigeance dans l’utilisation de la langue maternelle qui divisait les enseignants ;
- la centration sur l'oral qui nuit à la compétence linguistique écrite des élèves
En ce qui concerne les problèmes externes, on peut citer le refus par les enseignants d’une méthodologie qui leur a été imposée et l’ambition excessive de cette méthodologie qui exigeait des professeurs une excellente maîtrise de la langue orale sans pour autant offrir un recyclage massif des enseignants.
Il n'en reste pas moins que la méthode directe a posé les premiers jalons d'une évolution qui n'a cessé de se préciser à travers les apports de la méthode audio-orale et de la méthode audio-visuelle.
Manuel réference : CAPELLE Jeanine, CAPELLE Guy, La France en direct 1, Paris : Hachette, 1971
3) Les MAV et la « méthodologie Structuro-globale audio-visuelle » (SGAV)
Dans les années 1950, à la suite d’une démarche de l’Unesco effectuée en 1948, visant à développer les langues de « civilisation » et pour faire en sorte que les peuples se comprennent (nous sommes au sortir de la IIème Guerre Mondiale), diverses initiatives sont prises et développées de manière différente selon les pays. Pour la France, il s’agissait non seulement de répondre positivement à cette exigence, mais il convenait aux yeux des responsables politiques de lutter contre la forte expansion de l’anglo-américain comme langue de communication internationale et de faire en sorte de maintenir voire retrouver à retrouver son rayonnement culturel et linguistique, alors que commence la période de décolonisation.
3.1 MAV vs SGAV
D’après le critère de définition avancé par Puren au préalable, nous pouvons considérer que la méthodologie audio‐orale (désormais MAO) ainsi que la méthodologie structuro‐globale‐ audio‐visuelle (désormais SGAV) font partie des méthodes audio‐visuelles. L’une (MAO) est d’origine nord américaine, et l’autre (SGAV ou méthode de St-Cloud-Zagreb) prend sa source en Europe, concrètement à l’Institut de Phonétique de Zagreb avec le professeur Guberina. La méthodologie AUIDO‐ORALE (MAO) s’est développée entre les années 1940 et le milieu des années 1960. La création de la méthode MAO est liée historiquement à deux défaites, l’une militaire (la destruction par les Japonais de la flotte américaine du Pacifique : Pearl Harbor) et l’autre, le lancement par les Russes du premier spoutnik en 1957. Dans l’intérêt de former ses agents secrets, les services secrets américains feront appel aux linguistiques afin de leur charger de l’élaboration d’une méthode apprentissage rapide et efficace des langues. Pour ce faire, les spécialistes vont fonder la méthode audio‐visuelle à partir de trois théories basée sur l’organisation interne des langues et sur les mécanismes d’apprentissage mis en place par les individus lors de l’acquisition d’une langue:
Le structuralisme : Le terme de structuralisme trouve son origine dans le Cours de linguistique générale de Ferdinand de Saussure (1916), qui propose d'appréhender toute langue comme un système dans lequel chacun des éléments n'est définissable que par les relations d'équivalence ou d'opposition qu'il entretient avec les autres, cet ensemble de relations formant la structure.
Le distributionnalisme : théorie générale du langage développée par Leonard Bloomfield et Z. Harris. Cette théorie a très largement dominé la linguistique américaine jusque dans les années 1950. Elle est l'un des fondements de la grammaire générative. Bloomfield appelle sa thèse mécanisme, et il l'oppose au mentalisme: pour lui, en effet, la parole ne peut pas s'expliquer comme un effet des pensées (intentions, croyances, sentiments). On doit ainsi pouvoir rendre compte des comportements linguistiques ainsi que de la structure hiérarchisée des messages émis sans aucune postulation concernant les intentions des locuteurs et leurs états mentaux. Ce sont principalement les théories psychologiques behavioristes qui ont permis la naissance du distributionalisme.
Le béhaviorisme : est une approche de la psychologie à travers l'étude des interactions de l'individu avec le milieu qui se concentre sur l'étude du comportement observable et du rôle de l'environnement en tant que déterminant du comportement. L'apprentissage y est expliqué comme une modification du comportement observable ou non, modification résultant de la conséquence d’une réponse à des stimuli, extérieurs (environnement externe) ou à des stimuli intérieurs (environnement interne), sur l'organisme. Ducrot (1972, p. 931 ) le résume ainsi : « Dans une situation‐stimulus se produit une réponse‐réaction ; si celle‐ci est renforcée, cela signifie que la réponse sera très probablement déclenchée à toute réapparition du stimulus ». Skinner va déduire de cette conception du langage sa théorie de l’apprentissage par conditionnement
3.2 SGAV
La méthodologie SGAV ou méthode de St‐Cloud‐Zagreb s’appuie également sur ces trois théories de référence. Cependant, elle se montrait moins radicale quant à son adhésion aux thèses structuralistes. Les Américains pensaient qu’il n’était pas nécessaire de comprendre la langue pour pouvoir la parler. L’apprenant débutant écoutait attentivement un modèle sonore (« pattern ») sur disque, fil ou bande d’enregistrement. Il n’avait pas à se préoccuper de comprendre. Il se limitait à répéter correctement. La compréhension était censée venir d’elle‐même, à force d’approximations successives. Certains auteurs tels que Sherover en 1950, allèrent même jusqu’à prétendre qu’on pouvait assimiler une langue par le seul travail de l’inconscient, en écoutant pendant le sommeil des enregistrements de textes en langue étrangère. En revanche, pour les méthodologues de St‐Cloud‐Zagreb, la compréhension était indispensable, bien qu’elle reste subordonnée à l’audition. En outre, ils estimaient que, contrairement à certaines conceptions américaines, il ne fallait pas se contenter de présenter en désordre des structures phonétiques, mais qu’il importait préalablement de les organiser. En effet, la propre terminologie « structuro‐globale » nous laisse déjà pressentir quelques éléments de réponse. La méthodologie SGAV se veut structuraliste au sens où les sons de la langue sont organisés en un système et leur enseignement ne peut se faire que par référence à ce système. Elle se veut également globale au sens où l’acte de communication oral est complexe autant sur le plan de la production comme sur celui de la réception. Toute méthodologie doit, autant qu’il se peut, reconnaître cette globalité sous peine de dénaturer l’acte de la parole et de supprimer toute spontanéité.
Le premier cours élaboré suivant cette méthode, publié par le CREDIF en 1960, est la méthode Voix et images de France, immédiatement suivie par De Vive Voix. La cohérence de la méthode audiovisuelle était construite autour de l’utilisation conjointe et complémentaire de l’image et du son. Le support sonore était constitué par des enregistrements magnétiques et le support visuel par des images fixes. Sur le plan pédagogique, les MAV/SGAV sont édifiées en fonction de théories de la linguistique structurale (structuralisme américain) et des théories psychologiques béhavioristes, ce qui conduit à privilégier des démarches pédagogiques « mécanistes ».
Le MAV avaient recours à la séquence d’images pouvant être de deux types : des images de transcodage qui traduisaient l’énoncé en rendant visible le contenu sémantique des messages ou bien des images situationnelles qui introduisaient d’une certaine fa- çon l’énonciation et les composantes non linguistiques comme les mimiques, les éléments kinésiques, les attitudes, et jusqu’à un certain point, les rapports affectifs, etc. La méthodologie MAV/SGAV repose sur le triangle : situation de communication/ dialogue/ image. Sur le plan de l’apprentissage, la MAV s’inspirait des théories de la Gestaltistes, qui préconisaient la perception globale de la forme, l’intégration par le cerveau, dans un tout, des différents éléments perçus par les sens. La langue est peu ou prou considérée comme un ensemble acoustico-visuel (projet global), la grammaire, les clichés, la situation et le contexte linguistique ont alors comme fonction de faciliter l’intégration cérébrale desstimuli extérieurs. Selon les outils méthodologiques, on est tantôt proche de la méthodologie audio-orale américaine, tantôt de la méthodologie directe européenne.
3.3 Le français fondamental
Des équipes de recherches, constituées de linguistes, de littéraires et de pédagogues, animées d’abord par Aurélien Sauvageot s’activent en France et à l’étranger pour trouver les meilleurs outils pour diffuser le français(non encore devenu français langue étrangère). Cette démarche et ces recherches prennent la dimension d’ « affaire d’Etat » et les ministères de l’éducation nationale et celui des affaires étrangères vont s’impliquer dans l’opération. Les premiers travaux sont assurés sous l’autorité de l’Ecole Normale Supérieure de Saint Cloud qui publie dès 1954 les résultats des études lexicales sont le nom de français élémentaire. Est rapidement créée, au sein de l’ENS une structure ; le C.R.E.D.I.F. (Centre de Recherche et d’Étude pour la Diffusion du Français) qui travaillera à partir d’enquêtes, d’analyses d’ouvrages et de manuels et qui constituera sur la base notamment de critères de fréquence et de répartition deux listes de 1500 vocables environ chacune:
• Un français fondamental premier degré
• Un français fondamental second degré
L’objectif est de proposer aux auteurs de manuels, enseignants et formateurs une acquisition progressive, rigoureuse et rationnelle de la langue pour des situations d’usage courant et permettant aux apprenants d’être, dans de courts délais, compris par des natifs de la langue. Le français fondamental sera considéré, jusqu’aux années 75-76, comme une base indispensable pour les premières étapes d’enseignement/apprentissage du FLE pour des apprenants en cours intensifs ou en situation scolaire.
Les contenus et les listes du FF ont fait l’objet de critiques d’ordre linguistique et surtout sociolinguistique. Certains dialogues élaborés strictement sur le FF présentaient des aspects langagiers peu vraisemblables. Les parcours linéaires ne tenaient pas compte des besoins langagiers, professionnels et des motivations réelles des publics visés. Tous les apprenants – qu’ils soient scolaires ou adultes professionnels - étaient confrontés aux mêmes contenus et à des progressions très lentes, souvent inadaptées aux durées que les apprenants pouvaient raisonnablement consacrer à l’apprentissage de la langue.
La méthodologie S.G.A.V. – et c’est l’un des problèmes- exigeait la mise en place d’un dispositif lourd qui comporte des formations spécifiques pour les enseignants par le biais de stages souvent plus techniques que proprement pédagogiques, et des dispositifs d’enseignement contraignants: nombre réduit d’apprenants/ enseignement hebdomadaire intensif/ formation sur une longue durée (plus de 500 heures pour acquérir « seulement » le français fondamental).
Manuel de référence : Boudot J., 1968, Voix et Image de France, (VIF),
4) L’approche communicative
L’approche communicative (dite tout d’abord « fonctionnelle/ notionnelle ») s’est développée en France à partir de la fin des années 1970 1 en opposition aux méthodologies audio-orale2 et audio-visuelle3 . Elle a été désignée par le terme d’ « approche » pour des raisons de prudence et de parti pris pour une conception ouverte et souple sur le plan pédagogique. Ce terme d’approche sera conserve pour les différents courants pédagogiques ultérieurs (approche actionnelle, par compétences…) Fille de l’éducation nouvelle 4 et des pédagogies actives, elle est aussi le fruit de nouveaux apports épistémologiques par rapport aux disciplines de référence habituelles, de l’irruption de disciplines nouvelles et de la prise en compte de publics non réductibles aux pédagogies et méthodologies antérieures. Je pense notamment aux publics d’étudiants et surtout de professionnels étrangers ou de migrants. Toute une partie des recherches en didactique des langues vivantes étrangères va s’orienter dans les années 1975 1980 vers l’analyse des besoins avant même l’élaboration des cours de langue. Cela a conduit à une nouvelle définition d’apprentissage.
L’enseignement/apprentissage vise le développement de savoir-faire, la maîtrise effective et l’acquisition de comportements adaptés aux situations de communication en utilisant les codes de la langue cible (savoirs).
Dans l’approche communicative les quatre habiletés peuvent être développées à des degrés et niveaux divers et variables d’un individu à un autre, d’un groupe à un autre, puisque ce qui est premier, ce sont les besoins langagiers des apprenants. La langue est avant tout conçue comme un instrument de communication ou d’interaction sociale. Les aspects linguistiques (sons, structures, lexique, etc.) constituent la « compétence grammaticale » qui ne serait en réalité qu’une des composantes d’une compétence plus globale: la compétence de communication. Elle prend en compte les dimensions linguistique et extralinguistique qui constituent un savoir-faire à la fois verbal et non verbal (gestuelle, kinésique, proxémique…), une connaissance pratique du code et des règles psychologiques, sociologiques et culturelles qui permettront son emploi approprié en situation, face à des interlocuteurs dans la variété de leurs rôles et fonctions. La compétence linguistique a pour fonction d’étayer la compétence de communication. L’objectif clair est d’arriver à une communication efficace. Bien sûr, devra être intégré le fait que le sens communiqué n’est pas parfaitement identique au message que le locuteur a voulu transmettre, car le sens est le produit de l’interaction sociale, de la négociation, d’une collaboration entre deux interlocuteurs. En effet, lorsque l’on produit un énoncé (encodé) rien ne garantit qu’il sera correctement interprété (décodé) par notre interlocuteur. Selon l’approche communicative, apprendre une langue ne consiste pas (à l’inverse des conceptions béhavioristes) à créer des habitudes, des réflexes et les constructions ne devraient jamais fonctionner hors des énoncés naturels de communication. L’apprentissage n’est plus considéré comme passif, mais comme un processus actif qui se déroule à l’intérieur de l’individu qu’il peut influencer. Le résultat dépend du type d’information présenté à l’apprenant et de la manière dont il va traiter cette information. L’enseignant devient ainsi “un conseiller”, un « tuteur ». Il doit recourir à des documents appelés “authentiques” 5 , c’est- à-dire non conçus originellement pour une classe de langue étrangère (même s’il existe aussi des documents des documents bruts à finalité didactique). Les principes des approches communicatives fournissent des indications opérationnelles pour:
• les supports et matériaux utilisés, dont l’authenticité discursive est considérée comme essentielle ;
• les activités de systématisation qui doivent être concrets, réalistes et vraisemblables. Elles sont conçues pour permettre aux apprenants de développer leur compétence générale de communication, dans des conditions contrôlées, comparables aux conditions réelles ;
• les activités de systématisation, dont on souligne qu’elles sont d’une toute autre nature que des exercices formels à réponse fermée et dans lesquelles l’initiative communicationnelle de l’apprenant – existante a priori pour tout individu et dans tout groupe d’enseignement/apprentissage - doit être mobilisée.
Ouvrage de référence : CAPELLE G., GIDON N., Reflets 1, Hachette Livre, 1999.
5) L’approche actionnelle
L’approche communicative des années 80, prend vers la fin des années 90 par une nouvelle extension et donne lieu - avec les travaux sur le cadre européen commun de référence de la division de politiques linguistiques du Conseil de l’Europe - à ce que l’on désignera sous le syntagme d’ «approche actionnelle»6 .
Celle-ci propose de mettre l’accent sur les tâches à réaliser à l’intérieur d’un projet global. L’action doit susciter l’interaction qui stimule le développement des compétences réceptives et interactives. La perspective privilégiée est de type actionnel en ce qu’elle considère avant tout l’usager et l’apprenant d’une langue comme des acteurs sociaux ayant à accomplir des tâches (qui ne sont pas seulement langagières) dans des circonstances et un environnement donnés, à l’intérieur d’un domaine d’action particulier.
Si les actes de langage se réalisent dans des activités langagières, celles-ci s’inscrivent à l’intérieur d’actions en fonction d’un contexte social qui leur donnent leur pleine signification. Il y a « tâche » dans la mesure où l’action est le fait d’un (ou de plusieurs) sujet(s) qui y mobilise(nt) stratégiquement les compétences dont il(s) dispose(nt) en vue de parvenir à un résultat particulier. La perspective actionnelle prend donc aussi en compte « les ressources cognitives, affectives, volitives et l’ensemble des capacités que possède et met en œuvre l’acteur social» (CECR)
L’usage d’une langue, y compris son apprentissage, comprend les actions accomplies par des gens qui, comme individus et comme acteurs sociaux, développent un ensemble de compétences générales et, notamment une compétence à communiquer par le truchement de la langue. Ils mettent en œuvre les compétences dont ils disposent dans des situations/contextes et des conditions variés et en se pliant à différentes contraintes afin de réaliser des activités langagières permettant de traiter (en réception et en production) des textes portant sur des thèmes à l’intérieur de domaines particuliers, en mobilisant les stratégies qui paraissent le mieux convenir à l’accomplissement des tâches à effectuer. Le contrôle de ces activités par les interlocuteurs conduit au renforcement ou à la modification des compétences.
Si la notion de tâche est centrale dans ces approches…qu’est ce qu’une tâche ? toute visée actionnelle que l’acteur se représente comme devant parvenir à un résultat donné en fonction d’un problème à résoudre, d’une obligation à remplir, d’un but qu’on s’est fixé. Il peut s’agir tout aussi bien, suivant cette définition, d’écrire une nouvelle ou une rédaction, de négocier un contrat, de commander un repas dans un restaurant, de traduire un texte en langue étrangère ou de préparer en groupe un voyage, un journal de classe. …Les compétences générales individuelles du sujet apprenant ou communiquant reposent notamment sur les savoirs, savoir-faire et savoir-être (comportements, attitudes…) qu’il possède, ainsi que sur ses savoir-apprendre (apprendre à apprendre).
Manuel de référence : LABASCO J., Rond-Point 1, La Maison Des Langues, Parascolaire, 2010
6) L’approche par compétences
6 –1 Fondements et origines
Ce courant, dans sa version originelle provient de l’industrie et en quelque sorte du taylorisme et de l’organisation/découpage du travail. Elle s’est imposée d’abord dans le système scolaire américain dès la fin des années 1960 et s’est vue un moment placéer en opposition avec l’approche centrée sur l’individu, son développement et son potentiel d’autonomie et de créativité dont Maslow ou Rogers7 ont été les chefs de file, en gros les approches centrées sur la non-directivité. Elle vise à définir les « métiers » comme un ensemble de capacités observables, que l’on peut décrire avec une précision dans des « référentiels ». Elle se distingue d’une approche fondée sur la caractérisation des connaissances et des savoirs/savoir faire à acquérir. Assez rapidement, l’APC s’est imposée dans le monde de l’éducation dans le monde anglo-saxon. Ensuite, ce fut l’ Europe, la Grande Bretagne, la Suisse et la Belgique qui ont été parmi les premiers pays à vouloir repenser leurs systèmes éducatifs et leurs programmes selon cette approche. Dans ces quelques pays, les décideurs ont progressivement voulu se démarquer d’ une conception centrée sur les objectifs pour passer à celle des compétences en ne les différenciant d’ailleurs pas réellement l’une de l’autre L’approche communicative de l’enseignement des langues (revivifiée par le Cadre européen commun de référence....), qui met l’accent sur les savoir-faire langagiers, s’inscrit déjà d’une certaine façon dans cette tradition pédagogique. De ce point devue, elle ne présente pas de technicité particulière ou nouvelle par rapport à l’approche antérieure.
6-2 Remarques et limites de l’APC dans l’enseignement et en didactique des langues
A l’inverse du domaine industriel, l’éducation a établi des liens immédiats avec le constructivisme et plus encore avec le socioconstructivisme (cf. Piaget ou Vygotski)8 . La vivacité du débat sur ce point et le prises de position s’expliquent par le fait, massif, que la fonction éducative/ formatrice répond à d’ autres logiques que celle de l’industrie. Il convient de dissocier les finalités de l’éducation scolaire et celle de la formation continuée d’adultes. Dans le premier cas, l’école a pour mission fondamentale de préparer le citoyen de demain sous toutes ses dimensions (affective, cognitive, intellectuelle et sociale). Cette question de la construction de la citoyenneté est une question cruciale dans la mesure où aujourd’hui, elle est en pleine évolution. L’un des enjeux des formations en langue (dont le français bien sûr) n’est-ce pas, justement de favoriser la prise de conscience d’une citoyenneté transnationale, d’ouvrir sur d’autres cultures, sur d’autres conceptions du monde. Elle ne saurait, du coup, s’en tenir au seuls aspects socio-économiques, socio-professionnels.
Dans le second cas, en revanche, la question de l’acquisition des compétences, de savoir-faire précis, de comportements mesurables peut être effectivement fondée. Une formation en français sur objectifs spécifiques dans le domaine de l’hôtellerie/restauration par exemple peut être décrite en séquences pédagogiques courtes , avec, pour chacune d’elle une liste de compétences à acquérir. Une formation accélérée en français pour standardistes d’entreprises bilingues peut donner lieu à des transactions et actes langagiers aisé- ment prédictibles(dans des quasi algorithmes) et l’approche induite peut correspondre à une pédagogie plus comportementaliste (pé- dagogie par les objectifs ou APC).
Force est de constater que dans le monde d’aujourd’hui, compte tenu de l’état actuel de l’épistémé en matière de pédagogie et de didactique, les décideurs en matière éducative, les enseignants doivent être à même de proposer l’approche qui convient le mieux au public en éducation/formation, en tenant compte des contraintes (de temps, d’espace, de culture scolaire…). Cela suppose naturellement des formations initiales et continues solides voire éclectiques.
L’influence de l’APC dans le domaine de l’éducation et de la formation est dans certains cas très importante. En Europe, de nombreux programmes et curricula sont souvent conçus et rédigés en termes de compétences attendues. Il convient de souligner que ces programmes font porter l’accent sur la démonstration des savoirs, l’observation de comportements (performances) plutôt que sur les savoir eux-mêmes. Cette manière de procéder interpelle un nombre grandissant de pédagogues. La crainte fondamentale et fondée serait bien de voir les compétences (voire les performances) se substituer aux connaissances en contexte scolaire et de ne pas tenir compte des dimensions liées au développement intellectuel de l’enfant et de l’adolescent, de se centrer sur des tâches à court terme, de négliger les durées et les rythmes, les différences entre les individus et, à la limite, de n’accorder que peu d’intérêt aux motivations et au plaisir d’apprendre.
6-3 Les apports
Les approches actionnelles (type CECR) ou par compétences insistent à juste raison sur la nécessité d’accorder à l’apprenant , la place qui lui revient dans le processus d’apprentissage. Ces courants didactiques/méthodologiques ont –depuis les approches communicatives des années 1980 – provoqué desrecherches approfondies dans le domaine de la psychologie appliquée à l’éducation et il convient de reconnaître que des efforts considérables ont entrepris afin d’améliorer la qualité de l’éducation et, dans bien des cas cela a porté ses fruits. Différents débats sur le rôle de l’école, des formations ont eu lieu et agitent encore décideurs politiques, enseignants et formateurs. Il semble que l’on ne puisse aujourd’hui considérer que l’enseignement ne soit qu’une transmission pure et simple de savoirs livresques.
Cependant jusqu’où faut il aller , jusqu’où peut-on aller?
• sur la centration sur l’apprenant et par contre coup un effacement relatif de l’enseignant ?,
• en fonction des publics, sur le « dosage » compétence/ connaissance ?
• sur la prise en compte des stratégies d’apprentissage ?
Dans l’enseignement scolaire, faut-il prioritairement centrer l’enseignement sur l’élève, son développement intellectuel et cognitif ou bien sur les connaissances et les compétences?
Conclusion
Les approches pédagogiques dans l’enseignement des langues, comme ailleurs préconisées par des décideurs en politique éducative, imposées unilatéralement ne peuvent apporter de réponse satisfaisante uniformément pour tous les publics et tous les contextes .
Le français de demain, ses enjeux éducatifs et professionnels, renvoient aussi à la question des pédagogies et des approches (en évitant les transferts de pédagogie, les décalages forts et les impositions vigoureuses avec les cultures pédagogiques et habitus scolaires)
En outre, on peut aujourd’hui avec la variété des approches parfaitement concevoir et former :
• les publics jeunes, les élèves en contexte scolaire, par une approche adaptée, incluant une dimension curriculaire longue liée à la formation intellectuelle des jeunes, avec une prise en compte de la construction de l’identité, de la citoyenneté. Une telle approche se combiner avec une pédagogie différenciée, une pédagogie du projet et nécessite du temps…
• les adultes en formation continuée disposant de peu de temps, ayant des besoins précis, des savoir-faire/savoir-être à activer et acquérir avec une approche type pédagogie par les objectifs ou par compétences, des savoir-faire langagiers communicatifs et instrumentaux indispensables en contexte professionnel
Les approches actionnelles, par compétences…sont des pédagogies d’importation (pour l’essentiel d’inspiration anglo-saxonne) qui peuvent être pertinentes, mais leurs applications doivent être réfléchies, aménagées, adaptées aux différents contextes éducatifs. Pour cela, il faut du temps, des moyens… pour obtenir les meilleurs résultats en matière de formation. Un plaquage sur l’existant ne pourrait qu’être artificiel et toute forme d’imposition rapide et violente présenterait le risque qu’une fois de plus non seulement l’ « intendance ne suivrait pas », mais pourrait écarter enseignants et formateurs des évolutions pédagogiques, ici et là plus que jamais nécessaires.
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Bibliographie sélective
Ouvrages généraux (Conseil de l’Europe) Collectif :
Cadre européen commun de référence pour les langues, Conseil de l’Europe, Didier, 2001.
Collectif : L’approche actionnelle dans l’enseignement des langues : onze articles pour mieux comprendre et faire le point La Maison des langues, 2010.
Goullier, F. : Les outils du Conseil de l’ Europe en classe de langue : cadre européen commun et portfolios, Didier, 2005.
Rosen, E. :. Le point sur le CECR , CLE International, 2007.
Portfolio européen des langues : pour jeunes et adultes Conseil de l’Europe. Didier, 2001.
Portfolio européen des langues : collège Conseil de l’Europe. Didier, 2004.
Portfolio européen des langues : 15 ans et plus Conseil de l’Europe. Didier, 2007.
Approche par compétence
Bosman C, Gérard F., Roegiers X.: Quel avenir pour les compétences, De Boeck, 2000
Dupuich-Rabasse, F. : Management et gestion des compétences, L’Harmattan, 2008 Jonnaert P . : Compétences et socioconstructivisme, De Boeck, 2002
Lemaître, C., Hatano M. Usages de la notion de compétence en éducation et en formation, L'harmattan, 2007 Perrenoud, P. : Construire des compétences dès l’école, ESF, 2000
Scallon, G. : l’évaluation des apprentissages dans une approche par compétences, De Boeck, 2004
Thélot C. : Pour la réussite de tous les élèves, rapport de la commission du débat nationalsur l’avenir de l’école, La documentation française, 2004
Beacco J.-C. : L’approche par compétences dans l’enseignement des langues - Enseigner à partir du Cadre européen commun de référence pour les langues, Didier, 2007
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1 Cf. publication d’un niveau Seuil en 1976 (Didier) ou du Theshold Level en Grande Bretagne en 1973
2 Née aux Etats Unis en 1942 (à Monterey – Californie)
3 apparue en France dès 1958 (CREDIF-Saint-Cloud)
4 Apparue aux Etats Unis (école de Chicago), en Europe : Belgique, Italie, Bavière,… dès le XIXème siècle
5 que pour ma part, je préfère appeler : documents sociolinguistiques bruts
6 Cf. cadre européen commun de référence pour les langues (Didier, 2001) et travaux de la division des politiques linguistiques du Conseil de l’Europe
7 C. Carl Rogers : Liberté pour apprendre, Dunod
8 L. Vygotski, Pensée et Langage, éditions La Dispute, 1997 ou C. Garnier et coll., Après Vygotski et Piaget, DeBoeck Université, 1991.
A découvrir aussi
- Chapitre 1: langue maternelle, langue étrangère et langue seconde
- Chapitre 2 : Quelques concepts clés en didactique
- Chapitre 3 : Qu'est-ce qu'apprendre une langue étrangère ?