LINGUISTIQUE ET DIDACTIQUE

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Chapitre 2 : Sémantique lexicale (1)

1-  Les mots, leur catégorie grammaticale et leur classification sémantique

Les catégories grammaticales sont des classes qui regroupent les mots qui ont des propriétés grammaticales communes. Par exemple, les verbes partagent la propriété de se conjuguer et les noms celle de porter des marques de genre et de nombre. C’est ce regroupement qui permet d’atteindre un niveau d’abstraction suffisant pour la formulation de règles générales de grammaire.

Les catégories grammaticales bien que définies par la linguistique moderne au niveau de la syntaxe et de la morphologie, reflètent-ils vraiment des différences sémantiques ? Pour répondre à cette question, je vous propose de lire les définitions des quelques catégories grammaticales extraites de la Grammaire de l’Académie française (édition 1932) :

 

Nom = « Le nom […] désigne les êtres vivants, les choses, les qualités […] »

Adjectif qualificatif = « Les adjectifs qualificatifs expriment la manière d’être d’une personne ou d’une chose, l’aspect particulier sous lequel on les envisage. »

Verbe = le verbe exprime une action faite ou supportée par le sujet ». Renvoie à la notion de prédicat et d'arguments

Adverbe = l’adverbe est un complément circonstanciel de forme invariable qui sert à exprimer la manière, le temps, le lieu, la quantité, etc. »

Manière : doucement

Temps : lentement

Lieu : ailleurs, ici, là

Quantité : beaucoup, énormément

Degré : très

 

 

  • Distinction sémantique nom/verbe

« Pour la tradition, […] les substantifs seraient faits avant tout pour désigner des êtres, des objets, des choses se caractérisant par une certaine stabilité : ayant une « substance » ». Or, un nom ou un substantif peut renvoyer à autre chose qu’à un « être vivant », « une chose » ou une « qualité ». Un nom peut avoir le sens d’une action : course, destruction, marche, vol. Ainsi, « les langues peuvent aussi signifier un événement ou un état à l’aide de noms ». On a donc un problème, puisque les définitions qui nous sont données par l’Académie Française nous disent que seul un verbe renvoie à une action.

 

  • Distinction sémantique nom/adjectif 

Un nom peut aussi renvoyer à un état, une manière d’être : fierté, tristesse, tendresse, égoïsme Autrement dit, un nom peut signifier une propriété attribuée à un être humain. Et c’est bien sûr problématique puisque que notre définition nous dit que ce type de signification ne peut être portée que par un adjectif (que l’on retrouve dans, « fier », « triste », « tendre », « égoïste »).Un nom peut aussi désigner des notions comme l’espace (« panorama »), le temps (matin, semaine, hier, siècle, mois).

 

  • Distinction sémantique nom/adverbe/déterminant

Un nom peut aussi, comme un adverbe, renvoyer à la notion de quantité : litre, kilogramme, multitude. Il faudrait donc dire que, par exemple, la quantité peut être exprimée par le nom et par l’adverbe.  MAIS La quantité peut aussi être exprimée par un déterminant (« un », « deux », « quelques »), par un adjectif qualificatif (ex : « nombreux), un nom (dizaine), un verbe (foisonner), un adverbe (abondamment).

 

Le classement sémantique n’est pas un classement idéal puisque les critères qu’il donne sont trop vagues : plusieurs catégories grammaticales peuvent renvoyer à une même signification.

 

Par ailleurs, un même mot peut, en fonction du contexte, appartenir à plusieurs catégories grammaticales. On dit alors qu'il est polycatégoriel. A titre d'exemple, nous citerons le mot "bien" qui peut être adverbe (1), adjectif (2) ou nom (3) :

- Il parle bien. (1)

- C'est un homme bien. (2)

- Il faut distinguer le bien du mal. (3)

La problématique du continuum transcatégoriel s’impose dès lors , quand l’unité est hétérosémique (polysémique et polycatégoriellle). L’exemple de bien est pour cela illustrant. Il propose différents sens lexicaux faisant référence à différents domaines :

- C’est un type biencorrect  (domaine d’ordre moral)

- Les gens bien fréquentent cet endroit → chic  (domaine sociale)

- Il est bien ce film → beau (domaine d’ordre technique)

 

 

2-Les mots et les éléments lexicaux 

 On appelle un dictionnaire ou un lexique la liste de tous les mots accompagnés de leurs informations idiosyncratiques[1].

En sémantique, on s’intéresse aux lexèmes ou aux mots sémantiques. On examine d’abord ce qu’est le mot en tant qu’élément isolé. Ils peuvent être identifiés

- au niveau de l’écriture, séparé par un espace blanc, et on les appelle des mots orthographiques ;

- au niveau phonologique comme une chaîne de sons qui pourraient révéler une structure interne qui n’apparaît pas en dehors du mot ;

- au niveau de la syntaxe, où le même mot sémantique peut être représenté grammaticalement de différentes manières à travers des mots grammaticaux. (morphèmes)  

 

 

Il marche comme un canard.

Le sens du morphème e est formé par les sèmes suivants :

  • S1 marque du mode (indicatif) 
  • S2 marque du temps (présent)
  • S3 marque de la personne (3ème personne )
  • S4 marque aspectuel (inaccompli)

 

2) Il marchait comme un canard.

Le sens du morphème ait est formé par les sèmes suivants :

  • S1 marque du mode (indicatif)
  • S2 marque du temps (imparfait)
  • S3 marque de la personne (3ème personne )

 

3) Il marchera comme un canard. 

Le sens du morphème era est formé par les sèmes suivants :

  • S1 marque du mode (indicatif)
  • S2 marque du temps (futur)
  • S3 marque de la personne (3ème personne)

 

En sémantique, on dira qu’il s’agit de trois instances du même lexème : marcher.  Ces trois mots grammaticaux partagent la signification du lexème.

L’inverse est parfois possible où plusieurs lexèmes peuvent être représentés par un seul mot phonologique et grammatical : c’est le cas des relations sémantiques d’homonymie et de polysémie.

3- Les familles des mots

 

Pour mieux comprendre les enjeux sémantiques que le concept de « famille des mots » implique, je vous soumets un extrait de Baylon et Mignot :

 

Quand on dit que des mots sont de la même famille, on retrouve une de ces métaphores biologiques sur lesquelles nous avons attirés l’attention. Il s’agit d’une unité d’origine, qui, comme dans une famille d’individus induit généralement des ressemblances.

Elles se manifestent en premier lieu sur le plan de la forme. Ainsi les articles de dictionnaires peuvent signaler qu’à étude se rattachent les dérivés étudier, étudiant, à enseigner les dérivés enseigne, enseignant, enseignement […]

Mais de notre point de vue, il ne suffit pas que les relations se limitent à la forme. Elles ne sont éclairantes que dans la mesure où elles concernent aussi la signification. Or il arrive couramment que l’appartenance à une même famille ait un caractère exclusivement historique, en particulier sur le plan du sens ; dans ce cas, le rapprochement concerne des liens passés : il s’agit alors de l’origine des mots, de leur étymologie, non de leurs relations sémantiques dans l’état de langue actuel. Enseigne (de magasin) est bien de la famille d’enseigner, enseignant ou enseignement, mais aujourd’hui sa signification s’est notablement écartée de la leur. […]

De ces données, on tirera la conclusion que les ressemblances de forme ; même celle qui à l’origine étaient motivées par des affinités de sens, peuvent se maintenir quand les secondes ont disparu. Cela n’empêche pas que le parallélisme de forme et de sens aient beaucoup d’importance et jouent un rôle de premier plan dans la structuration du vocabulaire. […]

Encore une fois, il apparait que le langage ne comporte pas toujours les relations stables et rigoureuses auxquelles des esprits rationnels pourraient s’attendre. […] On retrouve ici [l’arbitraire du signe], dans un domaine où pourtant il parait se justifier moins qu’ailleurs. Le lien entre les signifiants de divers mots peut ne plus s’accompagner du lien entendu entre leurs signifiés. Alors qu’ils se motivaient réciproquement, l’arbitraire s’est inséré, il a distendu, parfois même éliminé cette motivation.

  



[1] 1 Tendance des sujets à organiser les règles générales de formation des mots d'une même langue de manière différente selon leurs dispositions intellectuelles ou affectives particulières.

[2] 2 Ensemble des moyens d'expression d'une communauté considéré dans sa spécificité.

[3] A. Lehmann et F. Martin-Berthet, 2002, Introduction à la lexicologie, sémantique et morphologie, Nathan, p49.



12/02/2016
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