LINGUISTIQUE ET DIDACTIQUE

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Chapitre 4 : Former les apprenants à l'autonomie

De plus en plus invoquée pour définir les finalités de l’enseignement, l’autonomie devient très vite difficile à saisir voire ambigüe dès qu’il s’agit de se poser la question des moyens mis au service de cette finalité. Ce qui amène  Jean-Pierre Bourreau et Michèle Sanchez, à formuler le constat suivant « D’une façon générale, il semble que l’autonomie soit perçue de manière profondément ambivalente et pas seulement parce qu’elle s’inscrit à la fois dans le registre des moyens et celui des fins. Elle l’est aussi parce qu’elle désigne aussi bien le potentiel quasi illimité de celui qui serait parvenu au terme de ses apprentissages et les manières de se montrer un peu plus "débrouillard" qu’un autre dans les activités quotidiennes de la classe." Mais concrètement quels sont les objectifs à viser pour développer concrètement ce savoir-être  chez les apprenants ? Quels sont les enjeux d’une telle mise en œuvre ?

4.1 Objectifs visés

Dans son site Philippe Meirieu aborde la mise en œuvre concrète du savoir-être qu’est l’autonomie. Il explicite à travers des objectifs clairs ce que l’on doit concrètement développer chez les apprenants pour arriver à développer chez eux ce savoir-être. J’ai extrait le passage suivant :

L'autonomie n'est pas un don. C'est quelque chose comme la capacité de comprendre et de maîtriser les situations dans lesquelles on est inséré, la capacité de "faire face". Et, cette capacité s'acquiert à travers des apprentissages que l'école doit mettre en place […] Or, ici, plus que dans aucun autre domaine, il nous faut être concrets, dire précisément de quoi nous parlons. J'attends de cet élève qu'il soit autonome : est-ce que je peux nommer, décrire précisément le comportement que je cherche à développer chez lui? Pas seulement au niveau des généralités ("qu'il prenne des responsabilités, qu'il s'épanouisse, etc...") mais dans chaque moment de la vie de la classe.
  • Etre autonome c'est être capable de lire et de comprendre des consignes : prévoyons-nous des exercices susceptibles d'apprendre cela.
  • Etre autonome c'est être capable de se fixer un objectif, de prendre les moyens pour y parvenir et d'évaluer le résultat : organisons-nous cela avec suffisamment de soin ?
  • Etre autonome c'est être capable d'organiser son travail, de réunir tous les instruments nécessaires, de préparer sa table de travail : prenons-nous le temps d'apprendre ces choses si simples quand on sait les faire, si génératrices d'échecs quand on les ignore ?
  • Etre autonome c'est être capable de surmonter une difficulté et pas seulement par le recours à l'adulte, mais aussi en revenant en arrière, cherchant le renseignement au bon endroit, consultant un document ou un dictionnaire nous sommes-nous assurés que les enfants savent faire ces choses-là ? Sinon les leur avons-nous apprises ?
  • Etre autonome c'est être capable de mener une recherche, de faire un brouillon, de le relire avec cette distance que permet la critique, de le reprendre, de l'amender, le découper et le recomposer : n'avons-nous pas tendance à laisser l'élève faire ces tâches "à la maison", sans aide ni contrôle, comme s'il savait les faire spontanément ?
  • Etre autonome c'est être capable d'analyser un échec, de chercher pourquoi telle ou telle méthode n'a pas été efficace et de mettre en place de nouveaux moyens : aidons-nous nos élèves à faire ces analyses , les faisons-nous avec eux ?
  • Etre autonome c'est être capable d'apprendre et de savoir quand on sait : avons-nous suffisamment le souci d'éviter la formule floue et facile "Apprends ta leçon", la volonté de donner à l'élève les indications qui lui permettront de contrôler lui-même ses propres apprentissages ?
  • Etre autonome c'est être capable de choisir ses partenaires de travail, d'organiser un travail de groupe en fonction des objectifs que l'on vise, de distinguer le groupe de recherche (nécessairement homogène) du groupe de production (dont l'efficacité est liée aux différences de compétences entre les membres) et du monitorat (où l'un des élèves joue rôle d'enseignant) : consacrons-nous suffisamment de temps à réfléchir avec nos élèves sur le fonctionnement des groupes ?
  • Etre autonome c'est être capable d'écouter, non pour renoncer à être soi-même et se soumettre aveuglément à une autorité extérieure, mais pour se confronter à l'autre et mieux assurer sa propre autorité : multiplions-nous suffisamment les exercices de reformulation ? Mettons-nous assez en place des exercices progressifs d'attention et d'écoute ?
  • Etre autonome c'est être capable de prendre la parole, d'être compris et convaincant : ne nous contentons-nous pas, trop souvent, de laisser parler ceux qui savent le faire sans permettre aux autres d'apprendre à s'exprimer, sans créer toutes les dispositions pour qu'eux aussi puissent prendre la parole ?
  • Etre autonome c'est être capable de se déplacer dans la classe, chercher un renseignement ou un document (aller aux toilettes aussi) sans avoir à demander d'autorisation mais sans déranger le travail de ses camarades : savons-nous construire, avec nos élèves, un "règlement" simple et efficace dont ils puissent sentir eux-mêmes la nécessité
  • Etre autonome c'est être capable de se mettre au travail en l'absence du professeur. Car, avons-nous réfléchi parfois à ce fait extraordinaire - et pourtant si quotidien - : quand le professeur est absent, il ne se passe rien, le cours est supprimé ? N'est-ce pas la meilleure preuve de notre inefficacité, la meilleure preuve que nous n'avons pas pu mettre en place les dispositifs qui auraient permis aux élèves de devenir autonomes ?

4.2 Pratiques de classe favorisant l’autonomie

 

Quelles sont les pratiques à développer en classe ? Nous retiendrons plusieurs points.

 

Définir les objectifs d’apprentissage visés

La détermination des objectifs représente un facteur optimisant le processus d’autonomisation de l’apprenant dans l’apprentissage d’une langue : « une des fonctions de l’enseignante et de l’enseignant, c’est de faire prendre conscience aux élèves de certains besoins, de les mettre en situation de vouloir apprendre, de leur permettre de se donner des objectifs dont l’atteinte sera évaluée lors des examens. » (Michel Saint-Onge, p108)

 

Définir des contenus

Aider et encourager les apprenants à proposer des contenus avec leurs besoins.

Définir des méthodes et techniques

La capacité de l’apprenant à définir des méthodes et techniques d’apprentissage dépend fortement de l’accompagnement de l’enseignant qui est censé le guider dans son apprentissage et le rendre attentif à ses propres lacunes.

- Développer le travail autonome.  Avant toute chose, s’impose la nécessité de faire une différence entre un travail en autonomie et un enfant autonome. Un travail en autonomie est un travail que l'apprenant réalise seul, sans aucune aide extérieure, durant lequel le maître n'intervient pas. En revanche, un travail autonome traduit une certaine acquisition de l'autonomie. Il peut être défini comme un travail où l’élève, fait siennes les règles de conduite attendues par l'institution, pour que leur application n'apparaisse plus comme un ordre extérieur mais comme un acte personnel à mener dans les limites de son propre rayon d'action. Ce travail doit être supervisé par l’enseignant.

Le travail autonome est lié au travail communautaire.

- Favoriser le travail communautaire : travail de groupe ou entre pairs (tutorat), les ateliers. Il peut être définit comme un ensemble d’activités menées en commun pour réaliser une tâche, ce qui suppose des échanges et l’implication de tous dans le groupe et dans la classe. Le choix du travail de groupe est fait dans le but de mieux apprendre ensemble ce qui n’est pas facile. Pour John Dewey ainsi que pour Edouard Claparède et Adolphe Ferrière, le travail de groupe a un rôle essentiel en ce qu’il détermine le travail des enfants autour de leurs intérêts propres puisque les apprentissages doivent découler d’activités qui ont du sens pour les eux. Les mots tels qu’activité, expérience, interaction, sens du projet sont des éléments clés de la pédagogie nouvelle défendue par ces auteurs. En ce qui concerne Célestin Freinet, il attribue un rôle tout à fait particulier à l’expérience et au travail en ateliers intégrés à la vie du milieu.

Evaluer ses acquis

L’évaluation de l’acquis repose d’une part sur la détermination des critères d’évaluation personnelle.   Il est important de laisser la parole aux élèves et d’en discuter ensemble ; avec le temps, l’habitude et leur capacité d’établir des liens, ils seront capables de définir des critères d’évaluation personnelle D’autre part, il importe de savoir comment garder une trace des évaluations opérées pour apprécier le progrès réalisé dans leur portfolio.

L’évaluation par les pairs joue un rôle prépondérant dans la construction des savoirs ainsi que dans la construction de la personne. Elle donne à l’apprenant le sentiment d'être moins seul avec ses erreurs dans le sens où il prend conscience du fait qu’il n’est pas le seul à en commettre. Cette prise de conscience renforce sa confiance en lui et dédramatise l’erreur en soi qui, dans un processus d’autonomisation, fait partie intégrante de la construction des savoirs. Finalement, il importe que les progrès des apprenants soient retenus dans un dossier d’apprentissage comme le portfolio par exemple.

 

4.3 Les enjeux

Meirieu évoque deux enjeux :

- D'un côté, l'on s'en tient à des positions "idéologiques" dont la fonction n'est pas - n'est jamais - d'inspirer ou de renouveler une pratique, mais de justifier des attitudes qui ont leur origine ailleurs (dans notre peur de la nouveauté et notre subordination passive à la logique institutionnelle, ou bien dans les comptes que nous réglons avec notre propre scolarité et notre propre enfance). Alors, nous oscillons entre un autoritarisme qui ne laisse aucune place à l'autonomie et un laisser-faire qui ressemble souvent à la loi de la jungle, et où seuls quelques privilégiés tirent leur épingle du jeu. Dans ce cadre nous n'en finirons pas de débattre de l'autonomie et ces débats risquent de nous épuiser sans nous faire progresser

- D'un autre côté, et c'est la seule voie qui s'ouvre au pédagogue, nous devons partir du présupposé que tous nos élèves peuvent être autonomes, mais qu'ils ne le sont pas encore - que, peut-être, ils ne le seront jamais complètement - mais que c'est à nous, dans nos classes, d'inventer des dispositifs qui développent chez eux des capacités qui contribueront à construire leur autonomie. Si le néologisme n'était pas un peu lourd je dirais volontiers que nos élèves ne sont pas autonomes mais "autonomisables". Et tout ce qui, dans la vie quotidienne de nos classes, les arme pour leur avenir, tout ce qui les outille pour demain, tout cela construit leur autonomie.



05/03/2017
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