LINGUISTIQUE ET DIDACTIQUE

LINGUISTIQUE ET DIDACTIQUE

Chapitre 5 : La méthodologie SGAV

Petar Guberina, professeur à la Faculté des Lettres de l’Université de Zagreb et Paul Rivenc, assistant de Georges Gougenheim, professeur à la Sorbonne, lors de leur rencontre à l’École Normale Supérieure de Saint-Cloud prennent la décision de réaliser en commun une nouvelle “méthode” d’enseignement des langues se fondant sur leurs travaux respectifs et leurs expériences antérieures. Petar Guberina avait soutenu à la Sorbonne, en 1939, une brillante thèse de Doctorat sur  “Valeur logique et valeur stylistique des propositions complexes (Théorie générale et application au français” . Cette recherche ouvrait une voie très originale vers une linguistique de la parole, inspirée notamment de Saussure et surtout de Bally. Les travaux de ce dernier avaient orienté Guberina vers la prise en compte de l’affectivité, du rythme, de l’intonation et du geste dans la structuration des messages verbaux. C’est tout naturellement qu’il avait tourné ses recherches vers l’enseignement/apprentissage des langues vivantes et vers la rééducation des troubles de la parole, notamment chez les sourds profonds. Sa vocation pédagogique et ses contacts avec le Centre Audiovisuel récemment créé à l’ENS, poussaient P.Rivenc à exploiter au plus vite les résultats de ces enquêtes pour réaliser des méthodes “modernes” d’enseignement du français aux étrangers. La méthodologie audiovisuelle (MAV) domine en France dans les années 1960-1970 et le premier cours élaboré suivant cette méthode, publié par le CREDIF en 1962, est la méthode « Voix et images de France ».
Puren (1988, p. 284)) définit les méthodes audio‐visuelles comme des méthodologies s’appuyant sur un seul critère d’ordre technique : s’organiser autour d’un support audio‐visuel.  Le support sonore est constitué par des enregistrements magnétiques, et le support visuel par des vues fixes (dessins, diapositives ou films fixes) ou des figurines en papier floqué pour tableau de feutre. Mais la voix du professeur pouvait suppléer les enregistrements, et les images du livre de l’élève pouvaient faire de même avec les projections.
 

1. Hypothèses ou théories de référence

 

Sur la langue :

Le structuralisme : la langue est avant tout un moyen d’expression et de communication orale et, plus que la langue, c’est la parole en situation que cette méthodologie vise à enseigner.

La théorie verbo-tonale de Guberina conçoit le langage comme une structure qui s’élabore, se définit constamment par contact entre l’individu et la société, comme une structure globale qui met en jeu le linguistique et le paralinguistique. La notion de structuro-global illustre bien cet aspect : si toute structure s’exerce par des moyens verbaux, elle se réalise également par des moyens non verbaux tout aussi importants (rythme, respiration, hésitation, intonation, gestuel, cadre spatio-temporel, contexte social et psychologique, etc…). L’adjectif  « global » rend compte de l’ensemble de ces facteurs qui interviennent dans la communication orale. La structure est donc intimement liée à une situation qui la fait naître et qu’il faut envisager globalement sans séparer les différents éléments intrinsèques qui la composent.

 

Nature de la langue

Langue orale car pour les structuralistes le langage est d’abord oral. Les 4 compétences sont couvertes mais priorité à l’oral, un oral transcrit. 
 

Sur la psychologie d’apprentissage

La théorie psychologique de la Gestalt propose une perception globale de la forme ou de la structure : si celle-ci réunit des éléments en un ensemble organisé, chaque élément constitutif entretient avec les autres des rapports intrinsèques et solidaires qui ne peuvent être décomposés.

Le béhaviorismeest une approche de la psychologie à travers l'étude des interactions de l'individu avec le milieu qui se concentre sur l'étude du comportement observable et du rôle de l'environnement en tant que déterminant du comportement. L'apprentissage est expliqué comme une modification du comportement observable ou non, modification résultant de la conséquence d’une réponse à des stimuli, extérieurs (environnement externe) ou à des stimuli intérieurs (environnement interne), sur l'organisme. Ducrot (1972,p.931le résume ainsi « Dans une situationstimulus se produit une réponseréaction ; 

si celleci est renforcée, cela signifie que la réponse sera très probablement déclenchée à toute réapparition du stimulus ». Skinner va déduire de cette conception du langage sa théorie de l’apprentissage par conditionnement.

 

Sur la conception de civilisation/culture

La culture est médiatisé par l’image « ces signifiants para-linguistiques de l’image joue dans une méthode audio-visuelle des langues vivantes, un rôle extrêmement important, ce sont eux qui, en marge de tout message linguistique, transmettent à l’élève une information sur la « civilisation » du groupe social dont ils étudient la langue et le mode de vie. .. A chaque leçon, l’image fera ainsi découvrir à l’élève, au delà des mots, les paysages, les villes, les milieux de vie, les personnages parmi lesquels il apprendra à vivre, et dont peu à peu il apprendra à parler. » (Renard, 1976 : 20) 
 

2. Contenu

Présentation de la langue

Comme pour la MAO, la méthodologie SGAV est présentée à travers des dialogues fabriqués qui véhiculent la langue de tous les jours et qui se développe dans une situation de communication de la vie quotidienne concrétisée par des images qui mettent en scène sa réalité. Ils constituent le noyau dur de toute leçon audiovisuelle. 

 

Accès au sens de la langue cible :

On accorde de l’importance au sens même si la forme linguistique est privilégiée. L’accès au sens se fait par des images, par le son, par les gestes….

 

Enseignement de la grammaire et du lexique :

L’enseignement grammatical est implicite et inductif et s’inspire du structuralisme européen tout en s’intéressant plus à la parole qu’à la langue. La progression de la grammaire et du vocabulaire relève du français fondamental 1er degré et le principe de la fréquence commande l’ensemble des dialogues (qui sont tous fabriqués) des fins linguistiques et pédagogiques. Les exercices structuraux permettent de réemployer et de fixer les structures du dialogue dans des situations différentes : ils ont donc une visée situationnelle.

 

Progression adoptée :

La sélection des contenus linguistiques reprend le choix des structures syntaxiques dégagés par le français fondamental. La progression est donc grammatical et observe le principe de présentation des contenus selon l’axe du simple au complexe et de la plus haute fréquence d’utilisation, le lexique du français fondamental venant se greffer dessus.

 

Schéma de classe

  • une phase de présentation du dialogue (enregistré) accompagné des images (contenues dans le film) afin de favoriser la compréhension globale de la situation ;
  • une phase d’explication qui consiste à reprendre le dialogue séquence par séquence ou image par image afin d’expliquer les éléments nouveaux et de s’assurer que l’élève isole correctement chaque unité sonore ;
  • une phase de répétition avec corrections phonétiques et mémorisation des structures et du dialogue ;
  • une phase d’exploitation ou de réemploi des éléments nouvellement appris et mémorisés par cœur dans des situations légèrement différentes de celle dans laquelle ils sont présentés ;
  • une phase de transposition qui conduit l’élève à réutiliser avec plus de spontanéité les éléments acquis dans des situations de même type sous la forme de jeux de rôle ou d’activité de dramatisation.

3. Relation pédagogique

Rôle de l’enseignant

Il fait accéder au sens, par des supports, des mimes, des paraphrases.

Il sert de modèle linguistique par ses énoncés que les apprenants doivent imiter.

Il corrige les erreurs phonétique des énoncés produits.

Il conçoit des exercices structuraux en situation

Il synchronise, en bon technicien, image et son

Pas d’improvisation « professeur presse-bouton »

 

Rôle de l’apprenant :

Centration sur la méthode

Rôle réactif  de compréhension, de répétition (imitation du rythme et de l’intonation), de dramatisation (texte + gestes) et d’exploitation

 

Interactions :

L’interaction est principalement orienté de l’enseignant vers l’apprenant mais sont visées aussi les interactions de types  :

apprenant → apprenant, apprenant → enseignant

 

Activités d’enseignement :

Questionnements et conversations

 
Traitement de l’erreur

L’erreur est évitée et l’autocorrection privilégiée

 
Evaluation

L’évaluation tant orale qu’écrite porte sur l’usage de la langue : entrevue orale, paragraphe à rédiger sur un sujet déjà étudié.

 

4. Evaluation de la méthodologie

Aspects négatifs :

Sur le plan linguistique :
  • difficulté pour les apprenants de manifester une créativité linguistique  (production inauthentique et pauvre);
  • difficulté pour ces mêmes apprenants de communiquer dans les diverses situations de la vie quotidienne, c'est-à-dire d'adapter socialement leurs productions linguistiques, et ce à cause de l'enseignement/ apprentissage d'une langue standard aseptisée ;
  • difficulté pour les apprenants, ne disposant que d'une langue référentielle, d'une langue servant à nommer les choses ou à véhiculer des informations, d'exprimer leur subjectivité, d'argumenter.
Sur le plan méthodologique :
  • les M.A.V. reposent sur la "centration sur la méthode" (ce que F. Debyser, 1973, appelait "l'illusion méthodologique") et "oublient" l'apprenant;
  • les M.A.V. mettent en oeuvre une pédagogie de l'imposition laissant peu de place à l'initiative de l'étudiant, à sa créativité.

Aspects positifs

  • Un grand souci d’authenticité dans les dialogues et les situations (y compris dans les “Situations grammaticales”), un enrichissement progressif des contenus culturels dans les images et les textes
  • Un assouplissement très important dans les propositions pédagogiques : le schéma directeur de chaque leçon est présenté comme un canevas dont les étapes sont certes motivées mais que l’enseignant devra adapter “aux exigences de la classe, qui changent constamment” (préface p.24). La phase finale d’”exploitation pédagogique” a été considérablement enrichie et diversifiée afin de développer les capacités d’expression des élèves, tout en offrant au groupe des activités multiples, et de nombreux choix. Il est fortement recommandé que toutes ces activités soient menées sous forme de dialogue entre enseignant et étudiants, et entre étudiants
  • Un soin particulier a été apporté à l’intégration de l’apprentissage des moyens d’expression grammaticaux : priorité aux moyens d’expression spécifiques de la parole orale (incluant les moyens prosodiques et mimo-gestuels), progression visant l’apprentissage de moyens d’expression linguistiques limités, mais actualisés dans une grande variété d’emplois de discours expressifs, grâce au recours à des dialogues et à des situations de communication proches des interactions réelles
  • Le travail sur l’écrit, tout en restant fondé au départ sur la dictée (avec un excès de prudence qui sera rectifié par la suite) donne une grande importance aux textes de lecture et, pour la première fois (et très tôt dans la progression) aux textes littéraires d’auteurs contemporains.


27/02/2018
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